Mme Diadji Sacko, DG de l’ANASER : «Nous travaillons à réduire le plus considérablement possible le nombre d’accidents »

‘’La Grande interview du mois’’, votre rubrique mensuelle de l’hebdomadaire d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales ‘’Ziré’’, reçoit Mme Diadji Sacko, directrice générale de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière (ANASER). Dans ce face-à-face, réalisé le 5 mars 2021, nous abordons plusieurs questions avec notre invité. Il s’agit, entre autres, de l’incivisme dans la circulation, dont le non respect du code de la route, l’occupation illicite de la chaussée par des commerçants ambulants. Mais aussi, elle nous parle des nouvelles visions de l’Agence qui veut réduire considérablement le nombre d’accidents de la route. Lisez plutôt l’interview !

Ziré: Madame la Directrice, veuillez vous présenter à nos chers lecteurs.

Mme Diadji Sacko:Je m’appelle Mme Diadji Sacko, directrice générale de l’Agence Nationale de la Sécurité Routière (ANASER).

Parlez-nous des missions de l’ANASER.

L’Agence Nationale de la Sécurité Routière (ANASER) a été créée en 2009. En fait, c’est à partir de cette année-là qu’il a été jugé nécessaire de mettre en place une Agence dotée d’autonomie de gestion pour justement s’occuper de la question de la sécurité routière. Mais avant cela, c’est la direction nationale des transports terrestres, maritimes et pluviaux qui s’en occupait. Donc, la mission principale de l’ANASER est la prévention des accidents de circulation, à travers la sensibilisation des usagers et la formation des populations sur code de la route.

De votre prise de fonction à maintenant, quelles sont vos remarques relatives aux accidents de la circulation liés au non respect du code de la route ?

Mes remarques portent essentiellement sur les mauvais comportements, l’incivisme sur les routes. Je veux parler des mauvaises conduites des usagers des engins à quatre et à deux roues sur la route. Nous avons aussi l’occupation illicite de la chaussée par les vendeurs ambulants. Tout cela  fait que nos routes sont toujours sollicitées. Pratiquement dans nos quartiers et dans toutes nos communes, cette occupation illicite existe. Ces commerçants mettent non seulement leur propre vie en danger, mais aussi celle des autres.Mais, il faut aussi reconnaître que cette pratique est encouragée par les usagers eux-mêmes qui s’arrêtent pour acheter les produits de ces commerçants ambulants. L’autre problème, c’est vraiment la mendicité sur les voies principales. Je pense que ce sont des comportements qu’il faudrait bannir sur nos routes.

Mais, c’est aussi la faute aux autorités, notamment les collectivités si les voies publiques sont occupées par les vendeurs.

Tout à fait. C’est très souvent dans les marchés où l’on voit cette occupation illicite des voies. La gestion des marchés revient aux collectivités, aussi bien que les routes communautaires. Maintenant, si les commerçants occupent des lieux qui ne leur appartiennent pas, c’est à la mairie de les rappeler à l’ordre à travers les moyens et les pouvoirs dont elle dispose. Ce qu’il faut également préciser, c’est que les gouverneurs ont aussi un rôle important à jouer dans la gestion des infrastructures routières.

Mais en ce qui concerne la mendicité et les commerces ambulants sur les routes, je pense que ce sont les forces de sécurité qui doivent intervenir. Parce qu’elles ont pour mission la gestion et la règlementation de la circulation. C’est pour vous dire que les forces de sécurité doivent aussi être non seulement vigilantes, mais aussi rigoureuses sur toutes les questions relatives à la sécurisation des usagers de la route.Donc, je pense qu’il faut une coordination des actions avec l’ensemble des acteurs qui sont chargés de veiller sur nos routes et de travailler pour que justement le phénomène que nous déplorons puissent cesser. Parce que les désordres sur nos routes ne sont dans l’intérêt de personne.

Dites-nous maintenant madame la directrice, quelles sont les principales causes des accidents de la circulation au Mali ?

Justement, c’est le deuxième point sur lequel je voudrais réagir. L’une des causes principales, c’est l’incivisme, le mauvais comportement. La majeure partie des accidents qui surviennent sur nos routes, que ce soit en ville ou en rase-campagne, vient du fait qu’on n’a pas observé les règles de la circulation routière.Ça veut dire qu’on ne connaît pas le code de la route, ou alors qu’on ne le respecte pas comme il se doit. La route est un bien commun, donc ce n’est pas dédié à une seule catégorie d’usagers, ni à une seule personne. C’est pour dire que quand on est sur un bien commun, chacun doit rester à sa place en respectant celle de l’autre.

C’est cela les règles de la circulation routière. Savoir que quand je suis automobiliste, il y a une ligne sur laquelle je dois rester. Cela est valable pour les autres usagers et même pour les piétons qui doivent aussi rester sur les trottoirs et traverser les voies principales là où ils sont autorisés à passer. Mais malheureusement, ces trottoirs sont souvent empruntéspar des usagers ou occupés par des commerçants. Toute chose qui rend vulnérable à des accidents parce que les piétons pourront facilement se retrouver sur la chaussée et provoquer des accidents.

Au-delà de ça, les usagers de la route doivent savoir que les panneaux de signalisation sont partie intégrante de la conduite. Aussi, on ne peut pas rouler en toute sécurité sur une route qui n’a pas de panneaux de signalisation. Donc, si ces panneaux existent, il faudrait forcément les respecter. Aujourd’hui, si tous les usagers respectaient le code de la route, c’est-à-dire les panneaux de signalisation, le feu de signalisation ou l’agent de police qui est là pour réguler la circulation par endroit, je pense qu’il y aurait  beaucoup moins d’accidents.

Parlez-nous à présent des statistiques des accidents commis au cours des deux dernières années de manière globale.

Là actuellement, on ne peut pas donner les chiffres de l’année 2020 puisque nous sommes en train de préparer l’atelier de validation des statistiques. Ce que les gens doivent savoir est que l’ANASER n’est pas pourvoyeuse des données statistiques. Ces données viennent des différentes structures des forces de l’ordre, notamment la police et la gendarmerie. C’est vrai qu’on est en train de travailler pour l’étendre à d’autres structures, mais pour l’instant ce sont ces deux structures citées qui s’en occupent.

Cependant, il y a un atelier qui réunit la police, la gendarmerie mais aussi la protection civile qui intervient beaucoup sur la route. Donc, il s’agira, au cours de cette rencontre de valider les statistiques annuelles que la police et la gendarmerie ont pu fournir. Ces chiffres sont parfois comparés avec les données de la protection civile ou des structures de santé. A ce niveau, on a prévu une étude pour voir dans quelle mesure on peut prendre en compte les données de la protection civile et celles  des structures sanitaires. Parce que parfois, il y a des disparités entre les données provenant des différentes structures. Donc, on va travailler à avoir des données fiables, parce que ce que les gens doivent savoir, c’est que ce sont ces données qui permettent à nous ANASER de travailler. Elles sont des indicateurs en fonction desquels nous planifions nos activités annuelles.

Force est de constater qu’il y a eu beaucoup de cas d’accidents, même si les chiffres finaux ne sont pas disponibles.

Non ! Je faisais allusion aux chiffres de 2020, sinon on a bien sûr les statistiques de 2019. Donc en 2019 comparativement à 2018, il y a eu beaucoup moins d’accidents. Le nombre d’accidents a diminué, même si le nombre de morts a augmenté en 2019 avec six cent soixante-trois (663) morts comptabilisés.Mais en 2018, les chiffres de décès étaient bien en deçà.

Qu’est-ce que l’ANASER fait pour réduire davantage le taux d’accidents de la circulation au Mali ?

L’ANASER travaille au quotidien à sensibiliser les usagers de la route. En fait, comme je l’ai dit, la mission principale de l’ANASER est la prévention des accidents, la sensibilisation des usagers et la formation des populations. Souvent quand il y a des accidents, les gens nous interpellent. Ce qu’il faut comprendre, c’est que nous n’avons pas vocation à intervenir quand il y a un accident. Nous pouvons intervenir seulement pour comprendre la cause de l’accident, mais pas pour la prise en charge des victimes. En ce moment, on peut  peut-être apporter des solutions pour éviter d’autres cas similaires.

Aussi, il faut comprendre qu’un accident peut être dû à l’état ou la structure même de la route. C’est ce qu’on appelle les zones accidentogènes.On peut aussi intervenir sur ces cas pour déterminer davantage et identifier les causes de l’accident. Pour cela, nous pouvons faire l’audit, le constat et donner l’information à la direction nationale des routes qui est chargée de faire les routes. Souvent, nos missions sont confondues à celles d’autres structures. Nous travaillons sur les cas d’accidents, mais l’activité principale c’est vraiment la sensibilisation que l’ANASER fait à l’endroit de l’ensemble des cibles. Vous savez que la tranche d’âge la plus touché ce sont les jeunes, surtout les accidents mortels.

Madame la Directrice, parlez-nous de l’accident de la circulation qui vous a plus marquée, depuis votre arrivée à la tête de l’ANASER ?

Tous les accidents sont marquants en fait. Certains plus que d’autres, bien évidemment, mais tous les accidents sont marquants. Les cas où l’on dénombre beaucoup de morts à la fois, marque naturellement la vie. Pour ce faire, on se souviendra très certainement de l’accident qui a eu lieu entre Bamako-Kangaba et celui qui a eu lieu sur la route Bamako-Kourémalé.Ce sont des accidents qui ont fait beaucoup de morts sur place et beaucoup de blessés.Mais comprenez que tous les accidents nous ont marqués. Voilà pourquoi nous travaillons à réduire le plus considérablement possible le nombre des cas sur l’ensemble du territoire national. C’est trop prétentieux de dire qu’on va éviter les accidents, mais on peut quand même travailler à ce qu’il y ait moins de cas. Nous en appelons donc à la vigilance de tout un chacun, car à l’ANASER nous, nous disons que ‘’un mort sur la route c’est déjà trop’’.

Nous avons aussi le projet d’amélioration de l’accessibilité rurale, financé par la banque mondiale et qui concerne les pistes rurales aménagées dans le cadre de la mise en œuvre dudit projet. Il s’agit des routes qui ne sont pas goudronnées, mais bitumées pour rendre les zones rurales accessibles pour que le commerce notamment les produits locaux puissent atteindre les marchés urbains et que les malades puissent atteindre les hôpitaux sans difficulté majeure. Donc, tous ces efforts sont de nature à améliorer les pratiques des routes en réduisant naturellement les accidents

Vous avez beaucoup parlé des initiatives. Mais globalement, quelles sont les priorités de l’ANASER pour l’année 2021?

Déjà en 2020, nous avons entamé beaucoup de choses qui doivent se poursuivre en 2021. Il s’agit, notamment, de l’institution de l’enseignement de la sécurité routière dans le système scolaire. Cela, suite à une recommandation de l’UEMOA qui a été entamée dans beaucoup de pays de la sous-région, contrairement au Mali où nous sommes beaucoup en retard. Donc, nous avons commencé à mettre en œuvre cette recommandation en 2020 avec la formation des formateurs. Cette année, nous allons poursuivre cette activité dans les autres académies qui n’en ont pas encore bénéficié. C’est le cas des académies dans les régions du nord et du centre du pays. Nous voulons faire ces formations courant premier semestre 2021.

Il faut aussi comprendre que tout ce travail se fait en collaboration avec le ministère de l’Éducation nationale. Donc, ce n’est pas l’ANASER seule. D’ailleurs, le ministère des Équipements et des Infrastructures joue un grand rôle dans la réussite de nos activités qui sont parties de la volonté politique des plus hautes autorités. Le souhait exprimé ici est que l’enseignement de la sécurité routière soit intégré dans les programmes et système éducatifs comme les autres matières.C’est vrai la sécurité routière était enseignée à travers l’éducation civique et morale, mais c’était vraiment une petite ouverture du domaine. Cette fois-ci, nous voulons que cela soit approfondi, c’est-à-dire en faire une matière à part entière.

Etes-vous optimiste pour l’atteinte des objectifs, sinon quelles sont les difficultés que vous redoutez ?

En fait, ce que vous devez savoir, c’est que le Mali vient d’adopter une stratégie nationale de sécurité routière assortie d’un plan d’action de cinq ans, soit 2021-2025. Dans cette stratégie et dans le cadre de ce plan d’action, il y a beaucoup d’actions qui sont inscrites justement pour faire diminuer les accidents de la route et surtout le nombre de morts qui est à 25% déjà. L’objectif est de baisser encore ce taux de 50%.

C’est très ambitieux. Mais est-ce que l’ANASER est optimiste pour cela ?

Oui, très optimiste ! C’est vrai, il y a toujours des obstacles à prévoir. Mais à ce niveau, les difficultés sont notamment d’ordre financier. Une chose est d’avoir des projets, des ambitions, l’autre c’est d’avoir les moyens pour les atteindre. Mais, nous avons foi en cela et nous travaillons pour atteindre cet objectif. C’est une volonté absolue à l’ANASER.

Pensez-vous que l’ANASER a les moyens de  sa politique ?

L’ANASER se donne les moyens de sa politique. C’est beaucoup d’ambitions, mais nous essayons toujours de rester raisonnables et réalistes. Je pense qu’en 2020, on a prouvé qu’on pouvait faire beaucoup de choses. Sans pour autant critiquer mes prédécesseurs, je dirais que l’ANASER a souvent été confrontée à un manque de visions. Je suis désolée, mais c’est une réalité. Donc, il y a une nouvelle dynamique. Les hommes et les femmes qui travaillent à l’ANASER se sont donnés les moyens de faire autrement et pour un seul souci : la préservation de la vie des usagers sur la route. Je ne dis pas que c’est facile, mais nous allons ensemble travailler dans cette dynamique.

L’une des politiques de l’ANASER concerne la sensibilisation des usagers,  notamment sur le port des casques ou de la ceinture de sécurité. Est-ce qu’il faut aller plus loin que la sensibilisation ?

Oui ! Il faut aller plus loin que la sensibilisation. De toutes les façons, les textes prévoient des sanctions. Là encore, il faut prioriser l’approche, parce que je pense que nous devons continuer à sensibiliser. Pour ce faire, nous devons avoir plusieurs phases d’approche. C’est vrai, la sensibilisation a ses limites, mais il ne faut pas quand même aller directement à la sanction, elle doit-être le dernier recours.Le port du casque a déjà été recommandé au Mali à deux reprises, mais cela a échoué pour plusieurs raisons. Donc, il faut de la sensibilisation, au contrôle-sensibilisation et peut-être la sanction. Il faut comprendre que ce n’est pas l’ANASER qui doit sanctionner, mais les plus hautes autorités à travers les forces de l’ordre en charge de la sécurité des usagers de la route et de la réglementation de la circulation.

Un message aux usagers.

Mon message pour les usagers est simple. Sur chaque espace considéré comme un espace commun, que chacun respecte sa ligne. C’est comme une famille où chacun a un rôle bien précis à jouer pour la sécurité des autres membres. Donc sur la route, chacun a aussi ce petit rôle à jouer. Je voudrais dire que nous sommes tous des usagers de la route et je demande à chacun de respecter toutes les règles qui sont édictées pour faciliter la circulation. Que chacun préserve sa vie et pense à l’autre. Nous avons ce devoir les uns envers les autres. Ne soyons donc pas égoïstes, sauvons nos vies et celles des autres.

Interview réalisée par Amadou Kodio

Source : Ziré

 

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