La consommation de stupéfiants en milieux scolaire et universitaire devient de plus en plus inquiétante au Mali. Ce fléau a mis en péril l’avenir de nombreux jeunes apprenants. Bien qu’il n’existe pas de chiffre officiel sur la prévalence du phénomène dans les écoles, les acteurs scolaires et universitaires se lamentent de la recrudescence du problème. Enquête.
La consommation des stupéfiants est un délit, le trafic et la détention sont des crimes punis par la loi numéro 01-078/ du 18 juillet 2001. Malgré tout, cette calamité ne cesse de s’envenimer et elle affecte les couches les plus vulnérables de la société. Selon le rapport 2021 du Service de la psychiatrie du Centre hospitalier et universitaire du Point G, 31,6% des cas d’intoxiqués graves admis à l’hôpital sont des élèves et étudiants. Ainsi, cette couche devient la plus touchée par le phénomène, après celle des sans-emploi dont la prévalence est estimée à plus de 36%. Le rapport précise que ces statistiques ne concernent que les cas graves admis à l’hôpital du Point G. Le même document indique que le cannabis, l’alcool, le tramadol, l’héroïne et la cocaïne sont successivement les plus consommés par les élèves et étudiants en plus d’autres stupéfiants.
L’ampleur d’un désastre social
De nombreux témoignages de certains acteurs du secteur de l’éducation approuvent cette expansion de la consommation de ces substances toxiques et pernicieuses dans les établissements dédiés à l’éducation des enfants. Il est 9h 40mn dans la cour de l’école Karim Diakité en commune II du district de Bamako. C’est la récréation, les élèves sont regroupés en petites mêlées. Un groupe est accroupi derrière les toilettes. Visiblement, ils fument du chanvre indien. L’odeur pique dans les narines à distance. « Dans notre école, il y a des élèves qui sortent au moment des cours pour se cacher derrière les toilettes. Ils se regroupent là-bas pour consommer de la drogue en comprimé, du juin et du tabac. Ils essaient même de convaincre leurs camarades de consommer avec eux. Quand ils reviennent de leur vagabondage, ils deviennent très violents et font des actes indociles. Cela nous fait vraiment peur », nous confie Sidiki Traoré, élève de l’établissement. Comme lui, Bingourou Keïta, enseignant syndicaliste au complexe scolaire Nelson Mandela, affirme avoir plusieurs fois surpris des élèves en possession de stupéfiants dans la cour de cette école fondamentale. Malik Guindo, médecin en spécialisation en néphrologie, regrette les conséquences de la drogue sur son petit frère en classe de 9ème année, qui ne peut, d’après lui, malheureusement plus continuer ses études à cause des troubles mentaux. « Un jour, après avoir brisé le téléviseur du salon, mon jeune frère a menacé de tuer notre maman. C’est ce jour que nous avons compris qu’il consommait de la drogue. J’ai donc pris des précautions rapides pour l’amener à la psychiatrie », a-t-il ajouté.
A l’université, le phénomène est plus récurrent. Des étudiants pointent du doigt certains membres de l’Association des élèves et étudiants du Mali (Aeem) d’être les véritables consommateurs de ces produits nocifs. En février dernier, trois étudiants ont été pris en flagrant délit de consommation de stupéfiants dans l’enceinte de l’Université privée Bazo. La décision de leur radiation des effectifs ne s’est pas fait attendre. La sanction des contrevenants a été publiée le 08 février dernier par la structure sur les réseaux sociaux.
Les régions ne sont pas épargnées par le phénomène. Par exemple, dans la région de Tombouctou, des élèves s’adonnent à cette pratique pour des raisons parfois fallacieuses. « Des élèves consomment des stupéfiants dans l’intention de mieux apprendre ou de mémoriser rapidement les leçons. Alors qu’au contraire, ces produits les détruisent », martèle Ali Assalihou, élève au lycée Mahamane Alassane Haïdara de Tombouctou. Selon le pédagogue Seydou Loua, ce désastre social est dû à plusieurs causes, notamment l’abandon des parents d’élèves dans le suivi des enfants ; les mauvaises fréquentations ; l’impunité mais aussi la faible implication des autorités. Par conséquent, le pédagogue a signalé que lorsqu’un élève consomme des stupéfiants, cela joue sur les résultats scolaires ou peut même le conduire à l’échec scolaire. Car les drogués n’ont pas de temps à consacrer à leurs études. Pire, « l’effet de cette drogue amène l’amateur à être violent avec ces collaborateurs, notamment ces camarades apprenants et les enseignants. Il devient ainsi une menace dans le milieu éducatif », a-t-il indiqué.
A en croire Pr. Souleymane Baba Coulibaly, responsable du service de la psychiatrique de l’hôpital du Point G, la répercussion des substances psychoactives entraîne plusieurs problèmes d’ordre mental et physique sur la santé humaine. « La consommation aiguë peut modifier le système du cerveau, l’attention et la mémoire, provoquant des troubles ou une fragilité psychologique et même une perte de mémoire. Ce qui est synonyme de difficultés de compréhension et d’apprentissage. L’addiction à ces substances toxiques peut provoquer des graves conséquences sur tous les organes du système immunitaire comme les reins, le foie, les poumons, etc. », a-t-il déploré. Avant de marteler que l’usage abusif des stupéfiants peut même transmettre le VIH/sida. Et d’avertir que même après l’arrêt de la consommation, les pathologies entrainées par la drogue continueront à réagir de façon chronique.
La stratégie d’approvisionnement de l’espace éducatif
Selon plusieurs sources, la stratégie d’approvisionnement des écoles et des universités par les dealers consiste à recruter des élèves et étudiants déjà initiés à la consommation, afin que ces derniers influencent les pairs à leur tour. Cela, en faisant croire que la consommation de tels produits peut optimiser leur capacité à mémoriser les leçons ou à résister au stress. Comme pour dire que chaque consommateur est une menace pour l’avenir de ses camarades.
Pourtant, le Mali dispose d’une structure dénommée l’Office central de lutte contre les stupéfiants (OCS), qui a pour principale mission de lutter contre cette pratique. Dans le domaine de l’éducation, cette structure manque d’initiative. « C’est à la demande des organisations de lutte contre les stupéfiants que nous animons des séances de sensibilisation dans les écoles », a précisé le directeur adjoint de l’OCS, le commissaire divisionnaire Bassirou Bamba. Comme pour dire que l’Office, qui doit lutter contre le phénomène, n’intervient dans les établissements éducatifs qu’en cas de sollicitation. Une approche jugée stérile par plusieurs acteurs éducatifs. Pour ces derniers, cette structure doit mener des actions de veille plus diligentes dans les milieux scolaire et universitaire en plus de la sensibilisation et de l’interpellation.
Bien qu’interdits et punis par la loi, la drogue et autres stupéfiants continuent de se propager non seulement dans les milieux scolaire et universitaire. Pour faire face au fléau, les acteurs sont tous unanimes qu’il est indispensable d’adopter des mesures fermes. Ils préconisent de mettre en place entre autres : un dispositif de veille pour identifier les jeunes en difficultés dans les quartiers et les écoles ; amplifier la sensibilisation des adolescents sur les conséquences désastreuses de ces produits ; intégrer des systèmes et des programmes de veille dans les espaces éducatifs ; lancer un programme subventionné à l’échelle nationale pour la prise en charge des cas d’intoxiqués dans les hôpitaux, en plus de la formation des ressources humaines.
Réalisée par Jiadata MAIGA
SOURCE : Azalaï express
Last Updated on 31/05/2023 by Elalie Konaté