Burkina Faso : 8 mois après la chute de Kaboré

La prise du pouvoir par le Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba se justifiait par l’incapacité du régime Kaboré à faire face aux groupes terroristes qui occupent une bonne partie du pays. En 8 mois, la situation sécuritaire peine à s’améliorer malgré des initiatives militaires.

La situation sécuritaire s’est considérablement dégradée depuis 2015. Le Burkina Faso est devenu le 4e pays le plus meurtri par le terrorisme dans le monde et le deuxième après l’Afrique, selon l’indice mondial sur le terrorisme (Global Terrorism Index). Aujourd’hui, il concentre l’essentiel des violences au Sahel avec plus d’attaques meurtrières contrairement au Mali et au Niger. Le régime de Kaboré s’était montré impuissant face aux défis sécuritaires. Les attaques répétées des groupes armés terroristes ont fini par le fragiliser.

Le 24 janvier 2022, il est renversé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba à la tête du MPSR. Cette prise du pouvoir avait suscité un soulagement, mais elle n’a pas réussi non plus à endiguer le cycle de violences auquel le pays fait face depuis 2015. Le processus de reconquête du territoire national entamé au lendemain du putsch, était loin du résultat escompté. Plusieurs axes stratégiques sont coupés par les groupes armés terroristes et avec des attaques des convois de ravitaillement. La dernière en date est celle qui devait ravitailler la population de Djibo, le 26 septembre dernier. Le bilan officiel provisoire faisait état de 11 militaires tués, 28 blessés dont 1 Volontaire pour la Défense de la Paix (VDP) et 7 civils en plus d’une cinquantaine de civils disparus. L’impatience avait commencé à gagner du terrain jusqu’à ce que des manifestants exagèrent la démission de Damiba. C’est dans cette cacophonie que le capitaine Ibrahim Traoré renversa le lieutenant-colonel Damiba le 2 octobre dernier.

La junte face à l’opinion après Seytanga

Si la prise du pouvoir par les militaires avait suscité un espoir, très vite les nouveaux dirigeants ont fait face à la réalité du pouvoir. L’impatience a commencé à se faire sentir au sein de l’opinion publique. La capacité du MPSR dirigé par Damiba à faire face au terrorisme a été remise en cause après l’attaque meurtrière de Seytanga qui a fait 8 morts. Quelques jours auparavant, le poste avancé du détachement de gendarmerie de la même localité avait subi une attaque quelques jours avant faisant plus d’une dizaine de victimes militaires, ce qui a obligé le détachement à se replier. Au regard de la situation sécuritaire, Damiba était loin de répondre aux aspirations de la population. Le nombre de déplacés internes ne cesse d’accroître dans le pays.

Réorganisation du dispositif sécuritaire

Depuis l’arrivée de Damiba à la tête du Burkina Faso, le dispositif sécuritaire avait connu un changement. Une série de décisions sécuritaires importantes à été prise pour la sécurisation du pays. On note la création de deux zones d’intérêt militaire dans les régions les plus touchées par le nord du pays et une réorganisation au sein des VDP qui deviennent la Brigade de Veille de Défense patriotique (BVDP), placée sous la tutelle du ministère de la Défense nationale en juin 2022. Ces zones d’intérêt militaires couvrent les régions de l’est et du Sahel qui sont les principales zones les plus touchées par les violences djihadistes.

Des opérations d’envergure s’annoncent et toute présence ou activité humanitaire est interdite au risque de s’exposer à des opérations militaires. Il y a également eu la création du Commandement des Opérations du Théâtre national (COTN), dirigé par le lieutenant-colonel Yves Didier Bamouni, chargé de concevoir, organiser et soutenir les opérations de sécurité du territoire national. Malgré des initiatives sur le terrain, les attaques n’avaient pourtant pas cessé. Il s’était engagé dans un processus de Réconciliation un peu solitaire avec la création de comités locaux de dialogue pour la restauration de la paix, dont la mission est d’initier des approches avec les membres des groupes en rupture de dialogue avec la nation.

Dissension au sein de l’armée

Depuis plus d’une dizaine d’années, l’armée burkinabè est malade. Le pays n’a pas su réformer le secteur de la sécurité après la dissolution du Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP) suite au coup d’État du général Gilbert Diendéré contre les autorités de la transition en septembre 2015. Cette unité qui a été pendant près de 20 ans au cœur du dispositif sécuritaire du régime de Compaoré, était une véritable armée dans l’armée. Ce régiment disposait de beaucoup plus de moyens et de privilèges que les autres corps militaires. Cela avait créé des frustrations au sein de l’armée. Sa dissolution a donc affaibli les capacités de l’armée burkinabè par la suite. Au cours du règne de Kaboré, il y a eu une méfiance du politique vis-à -vis de l’armée.

L’attaque d’Inata a été révélatrice de ce grand malaise au sein des forces de défense et de sécurité. En septembre 2021, cette position tenue par l’armée est attaquée par les groupes terroristes affiliés à Al Qaïda. Le bilan officiel fait état de 53 morts. Il y avait des problèmes d’approvisionnement, le manque de munitions et la rotation des troupes qui prennent du temps indique le type de dysfonctionnement. A cela s’ajoutent les scandales de corruption et de détournements de primes destinées aux troupes engagées dans la lutte contre le terrorisme et la création des VDP, des auxiliaires des forces de défense et de sécurité dans les localités sous périls djihadistes.

Après la prise du pouvoir par Damiba, ce problème de fonds n’a pas pu être réglé. Quelques semaines avant sa chute, il avait limogé son ministre de la Défense, le général Barthélémy Simporé en récupérant lui-même le portefeuille de la Défense, un scénario déjà observé lors des derniers instants du régime de Kaboré.

Bah Traoré

Chercheur, Analyste politique et sécuritaire au Sahel à Dakar

Source : Mali Tribune

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