Passé par des moments de gloire, Tiécoura Koné alias Aziz Wonder connaît l’un des moments les plus difficiles de sa carrière musicale. Installé sur la colline de Lassa (Kaderbougou) dans le District de Bamako, Aziz, fier d’avoir représenté le reggae malien à travers le monde, exprime son regret de se retrouver dans des conditions misérables dans lesquelles il vit aujourd’hui, malgré lui. Nous l’avons rencontré pour un entretien à bâtons rompus.
Ziré : Bonjour Aziz, présentez-vous à nos lecteurs.
Aziz Wonder: A l’état-civil, je suis Tiécoura Koné. Mais si vous me cherchez sur la toile où dans un quartier par Tiécoura Koné, eh bien vous allez tout rater. Mais dès que vous dites Aziz Wonder, tout de suite vous me trouverez. Donc, je m’appelle Aziz Wonder.
Alors, Aiziz Wonder, vous êtes passé d’une renommée internationale à cette retraite anticipée avec des difficultés derrière. Puis, comme le dirait l’autre, vous vous êtes retranché ou isolé à Kaderbougou, un quartier périphérique de Bamako. Dites-nous, qu’est-ce qu’il s’est passé au juste ?
Bon, je dirai qu’il ne s’est rien passé de mal dans l’ensemble. Vous avez très bien dit une retraite. C’est vrai, j’habite là dans une baraque avec ma petite famille. Cependant, je ne suis pas totalement allé à la retraite, même si je suis en arrêt d’activités depuis un bon moment. C’est surtout compte tenu de la situation sociopolitique du pays avec son corollaire de difficultés chez nous les artistes, que j’ai été obligé de me retirer un peu pour mieux réfléchir et trouver d’autres paramètres pour pouvoir me relancer.
Alors comment Aziz Wonder vit-il ?
Je vis très misérablement comme beaucoup d’autres artistes. Parce que chacun sait qu’aujourd’hui au Mali, l’art ne nourrit pas son homme et c’est très dommage. Cela est clair et toutes les maisons de production sont closes. Les acteurs de ces maisons, les financiers, les producteurs, chacun a fermé ses portes. Alors, nous, nous sommes restés peut-être dehors, avec nos compositions. Encore aujourd’hui, j’ai plein d’albums qui dorment dans mon tiroir. Je suis là, sans les moyens. Pourtant, ces albums, il faut les produire. Et même si j’arrive à le faire, comment les vendre ? Voilà la question. Donc encore, pour toutes ces raisons, je vis dans des conditions extrêmement difficiles et à cela sont venus s’ajouter deux ans de crise sanitaire due au coronavirus, puis s’est ajouté le coup d’État militaire.
Depuis combien de temps vous êtes dans ces conditions ?
Si je me rappelle bien, c’est depuis que l’artiste n’arrive plus à produire une cassette audio et à la vendre. Donc, depuis ce moment-là, les choses ont commencé à se dégrader et à détériorer la vie des artistes. Si vous vous rappelez bien, le moment où j’ai sorti le son ‘’Fĕn ti y bolo môgô ti y là’’, qui veut dire en français ‘’Quand tu n’as rien tu n’as personne autour de toi’’, jusqu’aujourd’hui, l’usine Mali Cassette ne peut pas nous dire combien de cartons elle a vendus, parce que dans un carton, il y a mille cassettes.
Il y a également mon album, ‘’Tchama Tchama ye dunyan là’’ et surtout celui dans lequel je prédisais l’avenir de l’Afrique (‘’L’Afrique tourne mal’’, en français), ce qui se passe actuellement. Depuis ce temps, l’artiste n’arrive plus à joindre les deux bouts.
Aujourd’hui, est-ce que Aziz Wonder regrette d’avoir été un artiste ?
Je regrette peut-être d’être un artiste musicien malien, sinon j’ai toujours eu l’amour de l’art. Et là, j’ai encore l’amour pour l’art et l’art aussi à mon amour et quand on se croise, l’art sait que je suis là et je sais que l’art aussi est là. C’est pour dire clairement que l’artiste malien souffre. Pour être honnête, j’ai été fier de représenter le Mali dans les concerts que j’ai animés même si aujourd’hui, je regrette d’avoir été un artiste malien au vu de ce qui m’arrive actuellement. En réalité, je ne me suis pas choisi, c’est Dieu qui m’a donné ce don-là. Donc, je ne peux pas dire que je regrette d’être un artiste.
Aujourd’hui, vous passez par des moments difficiles dans votre vie. Les autorités sont là, les organisations des artistes aussi, quel est votre cri de cœur ?
Je dirais, M. Kodio, « S.O.S. !» En fait, vous frappez aux portes du ministère de la Culture, on vous dit qu’il n’y a pas d’argent pour aider les musiciens, parce qu’ils trouvent qu’on est trop nombreux ; et quand vous allez au niveau du Bureau des droits d’auteur, ils vous diront qu’il n’y a pas d’argent. Seulement l’année passée avec la première vague de coronavirus, les organisations faîtières ont réussi à convaincre le fonds MAYA qui a retenu environ cent (100) artistes et les a rémunérés pendant un an. C’est ce fonds qui m’a permis de construire une petite maison avec l’aide aussi de certaines personnes de bonne volonté. Mis à part cela, nous n’avons pas d’autres soutiens.
De toute sa carrière, qu’est-ce qu’Aziz Wonder retient comme bon souvenir ?
Très bonne question. Quand j’ai sorti l’album ‘’fĕn ti y bolo môgô ti y là’’, j’ai été retenu dans beaucoup de festivals en Europe et aussi dans beaucoup de pays d’Afrique et à chaque fois, on me demandait « Ton morceau fétiche ? » C’est là que j’ai choisi cet album qui dit ‘’Quand tu n’as rien tu n’as personne autour de toi’’. Je veux dire que le succès à plusieurs parents, mais la défaite elle est orpheline. En tout, j’ai sorti plus de sept albums, mais ce dernier reste le meilleur souvenir.
Et de deux, quand j’ai sorti l’album (‘’L’Afrique tourne mal’’) au nom de la démocratie et surtout par la mauvaise gestion de cette démocratie, c’est là que j’ai eu mon premier contrat avec des Français qui sont venus de la France pour faire au Mali une tournée durant laquelle j’étais leur artiste préféré. Puis après, ils m’ont emmené en France pour un festival à Paris et dans beaucoup d’autres villes françaises ; c’était trois mois de tournée. Et là, c’est resté gravé dans ma mémoire.
Comme souvenir toujours, quand je passais dans la rue, les gens chantaient derrière moi, ‘’fĕn ti y bolo môgô ti y là’’. Aussi, il n’y a même pas une semaine, je passais à Lassa et j’ai vu un jeune de dix ans qui chantait devant moi ‘’I Yindji latchè, I Yindji latchè mêlèkèni don ka tcha’’. Vu tout cela, je dis merci au bon Dieu, parce que je n’aurai pas vécu inutilement. Parce qu’il faut aussi préciser, qu’après plus de quatre générations, j’ai entendu cela d’un petit garçon. Donc, c’est un bon souvenir.
Entretien réalisé par Amadou Kodio
Source : Ziré