Affrontements au Haut-Karabakh: une solution négociée est-elle encore possible?

Le Conseil de sécurité doit se réunir ce mardi soir pour évoquer en urgence la situation dans le Haut-Karabakh, après deux journées d’affrontements. Un bilan provisoire faisait état lundi soir de 95 morts, dont onze civils. Ce sont les affrontements les plus meurtriers depuis 2016 entre les forces azerbaïdjanaises et les séparatistes arméniens. Rien ne semble pour le moment pouvoir les arrêter.

Peut-on encore éviter la guerre ? C’est la grande question aujourd’hui. Vu l’ampleur des affrontements, le nombre de morts déjà très élevé, on peut se demander s’il sera possible de parvenir à un cessez-le-feu, comme en 2016 où les combats avaient cessé au bout de quelques jours. Plusieurs élements sont très préoccupants à cet égard car les moyens militaires déployés depuis dimanche sont beaucoup plus importants qu’en 2016. Autre différence, les affrontements à différents points de la ligne de contact sont bien moins localisés qu’il y a quatre ans. Enfin, la réthorique guerrière et la fièvre patriotique qui se manifestent en Arménie comme en Azerbaidjan sont un élement qui peuvent entraver les efforts de paix. Il faudra agir très vite, et avec des moyens de persuasion très importants, pour contraindre les belligérants à discuter et à s’asseoir à la table des négociations.

La Russie en médiatrice ?

Une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU doit se tenir ce mardi soir, mais ce qui sera également déterminant, c’est le rôle de la Russie. Elle est très attendue sur ce dossier car c’est elle qui avait négocié les précédents cessez-le-feu, en 1994 et en 2016. La Russie est sans doute le pays le mieux placé aujourd’hui pour obliger les parties au conflit à se parler, elle est un allié très proche de l’Arménie, mais elle entretient malgré tout de bonnes relations avec les autorités de l’Azerbaïdjan.

Historiquement, la Russie exerce une influence politique, économique et diplomatique majeure sur la région. Enfin, et c’est sans doute crucial, Moscou n’a pas grand-chose à gagner dans cette histoire, et beaucoup à perdre en cas de conflit majeur. Liée à l’Arménie par une alliance politique et militaire, elle pourrait même se voir entraîner directement dans le conflit, en cas d’incursion des forces azerbaïdjanaises en territoire arménien. Le problème aujourd’hui pour la Russie, c’est la question turque et l’attitude très va-t-en guerre de Recep Tayyip Erdogan, qui semble inciter l’Azerbaïdjan à la guerre. Cet élément complique considérablement la donne pour Moscou car la Russie et la Turquie s’opposent déjà sur deux terrains extérieurs, par alliés interposés : la Syrie et la Libye.

Un « conflit gelé »

Rappel historique nécessaire, le Haut-Karabakh est un territoire du Caucase qui était historiquement majoritairement peuplé d’Arméniens, mais que Staline dans les années 1920 a décidé de rattacher à l’Azerbaïdjan. C’est la source de ce conflit qui fait 30 000 morts au début des années 1990 lorsqu’à l’éclatement de l’URSS le Haut-Karabakh a proclamé son indépendance. Depuis cette guerre qui a été remporté par les Arméniens, l’Azerbaïdjan réclame le retour de ce territoire – et il est à noter qu’aucun pays au monde n’a reconnu à ce jour l’indépendance du Haut-Karabakh. On est donc dans une situation de « conflit gelé » typique de l’ex-URSS avec ce petit territoire soutenu par l’Arménie, et menacé à intervalles réguliers par l’Azerbaidjan.

Il y a eu en juillet des incidents frontaliers entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, annonciateurs sans doute de ces affrontements. Il y a, du point de vue azerbaïdjanais, la déception qui a suivi l’arrivée au pouvoir de Nikol Pachinian. À tort ou à raison, on estimait à Bakou que ce nouveau dirigeant issu d’une révolution populaire en 2018 allait permettre des progrés dans le processus de paix, il n’en a rien été. Au contraire, disent les dirigeants azerbaïdjanais, Nikol Pachinian a mis lui-même de l’huile sur le feu en se rendant à plusieurs reprises dans le Haut-Karabakh et en tenant des propos considérés comme étant très durs sur la question. Du point de vue arménien au contraire, on pointe du doigt d’abord les dépenses militaires très importantes en Azerbaïdjan, un pays riche de ses hydrocarbures. Des dépenses qui l’inciteraient aujourd’hui à une solution militaire, plutôt qu’à une solution négociée.

Le rôle de la Turquie pointé du doigt

La Turquie est l’allié traditionnel de l’Azerbaïdjan, et bien sûr un adversaire farouche de l’Arménie. La Turquie a multiplié les déclarations de soutien, et même d’encouragement à l’Azerbaïdjan – certains observateurs estiment que fort de ce soutien, Bakou a décidé de se lancer dans cette aventure militaire. Cela reste à confirmer, mais ce qui est sûr, c’est que depuis dimanche, la Turquie est le seul pays, la seule puissance régionale, qui n’appelle pas réellement à l’apaisement.

Certains observateurs estiment donc que la stratégie actuelle de Recep Tayyip Erdogan, qui consiste à impliquer son pays dans des conflits extérieurs, comme en Syrie ou en Libye, l’a conduit à inciter son allié du Caucase à lancer une offensive. Il s’agit d’une explication parmi d’autres – et qui serait sans doute réfutée avec véhémence à Bakou –, les autorités azerbaïdjanaises expliquant que ce sont les séparatistes du Haut-Karabakh et leur allié arménien qui sont à l’origine de ce nouvel affrontement.

Source: RFI