Droits de l’homme, affaire Sanogo : Me Mariko parle !

‘’La grande interview’’ est désormais une rubrique phare que la rédaction de ‘’Ziré’’ a instaurée cette année. Elle consiste à interroger des personnalités sur les sujets brûlants du moment. Pour ce premier numéro, nous sommes avec Me Moctar Mariko, avocat à la Cour et président de l’Association Malienne des Droits de l’Homme (AMDH). Dans cette interview à bâtons rompus, il nous parle de la situation actuelle des droits de l’Homme au Mali, de l’affaire dite Bérets rouges disparus et de bien d’autres sujets. Lisez plutôt !

Ziré : Monsieur le président, en tant que défenseur des droits de l’Homme, quelle est, selon vous, la situation des ces droits actuellement au Mali ?

 Me Moctar Mariko : Depuis la crise de 2012, je crois que les droits  de l’Homme vont très mal au Mali. Et cela dans tous les domaines. Il s’agit des violations des droits humains et des droits socio-économiques. C’est pour vous dire que rien ne bouge de façon générale, cela malgré les efforts des uns et des autres. Je veux dire malgré les efforts un peu disparates du gouvernement, les choses ne semblent pas rentrer dans l’ordre. Si vous regardez depuis 2012, au moment de l’éclatement de la crise multidimensionnelle, il existe toujours au Mali une crise sécuritaire et institutionnelle. Donc, cette cruelle violation des droits de l’Homme est due en grande partie à l’insécurité que nous vivons encore aujourd’hui.

Prenez tous les domaines que vous voulez, vous comprendrez aisément que les Maliens souffrent réellement. Ils souffrent dans leur chair et leur âme. Parce qu’ils n’arrivent pas à être remplis de leurs droits et le débiteur principal, c’est l’État. L’État n’arrive pas à faire asseoir sa suprématie et il n’arrive pas à vaincre non plus l’insécurité pour que les Maliens puissent vivre tranquillement. A cause de cette insécurité, je pense que tous les autres droits sont touchés. Cela veut donc dire tout simplement que les droits vont très mal au Mali.

Vous avez largement mis en avant l’insécurité. Est-ce qu’elle est la seule cause de cette violation des droits de l’Homme ?

Il faut quand même reconnaître que tout est parti de cette insécurité, notamment des événements du nord et du coup d’État du 22 mars 2012. Ce sont les deux facteurs déclencheurs. Si vous partez au nord, vous verrez que l’État n’a pas pu garantir la sécurité des personnes et de leurs biens et c’est ce qui a amené cette cruelle violation des droits de l’Homme où les femmes, les enfants qui sont les plus vulnérables ont été sérieusement affectés. Au-delà de cet aspect, vous avez des assassinats ciblés, des écoles fermées ou encore des foires qui n’arrivent plus à se tenir.  Tout cela a contribué à affecter sérieusement les droits de l’Homme de façon générale. Pire encore, plus récemment et un peu vers le centre, les gens n’arrivent plus à cultiver leurs champs et il y a un grand risque d’insécurité alimentaire. Donc, nous crayons aussi une insécurité alimentaire.  Bref, c’est pour vous dire que l’État a failli à sa mission. Malgré les efforts que le gouvernement est en train de déployer, malgré le grand effort de l’armée malienne, nous n’arrivons vraiment pas à mettre en confiance les populations. Surtout quand vous regardez, les attaques ciblées contre cette même armée nationale et les forces étrangères qui semblent nous protéger, nous voyons la limite de toutes ces forces et les populations ne peuvent que fuir pour regagner les zones paisibles abandonnant ainsi leur quotidien, c’est-à-dire leurs droits de liberté de vivre là où ils veulent.

Alors qu’est-ce que l’AMDH, en tant qu’association de défense des droits de l’Homme, fait pour aider les populations ?

Effectivement, l’AMDH joue sa partition en tant qu’association parce que depuis l’éclatement de la crise, elle est sur son principe qui est celui de la lutte contre l’impunité. Ensuite, elle a documenté tous les faits et moi je peux vous dire aujourd’hui sans prétention aucune que c’est grâce à l’AMDH que les premières plaintes du Mali ont été déposées au niveau de la cour pénale. C’est parce que nous, nous avons documenté les faits.

Parmi tous les coupables,  ceux qui sont arrêtés, il y a un qui a été jugé et un autre en phase de l’être. Tous ces gens se trouvent nommément désignés dans les plaintes de l’Association Malienne des Droits de l’Homme. Au-delà de cela, nous avons aussi fait de la documentation sur les viols, les violences sexuelles et sexistes faites aux enfants, aux filles et aux femmes. Et là également, nous avons porté plainte pour le cas de 80 femmes qui ont été victimes de violence sexuelle. C’était tout simplement pour attirer l’attention de l’État du Mali là-dessus, mais aussi celle de la communauté internationale pour qu’on sache qu’au Mali, il y a cette frange, je veux parler des enfants, des jeunes filles et des femmes qui sont mis à rude épreuve au Mali et qu’il va falloir que l’État du Mali fonde sa politique de répression sur ces infractions qui ne font pas honneur et qui ne font qu’affaiblir notre pays. Nous avons donc fait cette documentation.

Nous avons aussi publié des rapports dans lequel nous avons montré que des exactions ont été  commises de part et d’autre. Souvent, nous parlons même des exactions de l’armée malienne, ce n’est pas pour dénigrer notre armée, contrairement à certaines spéculations, mais dans le seul but d’avoir une armée  assez correcte et professionnelle dans l’exercice de ses missions régaliennes. Peut-être qu’au départ, on n’était pas compris. Mais aujourd’hui, je crois que tout le monde a compris cela.

Et là, vous avez vu, depuis la publication de notre rapport, moi je crois qu’il y a eu beaucoup d’amélioration dans le comportement de notre armée sur le terrain, même si nous déplorons les multiples attaques auxquelles on fait face.

Indépendamment de tout cela, nous aidons le gouvernement du Mali dans la légisfération des lois, c’est-à-dire à chaque fois qu’un projet de loi apparaît au Conseil des ministres et atterrit sur la table de l’Assemblée nationale, nous apportons notre expertise dans le seul but d’aider notre pays à mener cette affaire de lutte contre l’impunité. Là aussi, il y a deux piliers que les gens semblent ne pas voir. Ces deux piliers sont  l’application de la loi et la réparation pour les victimes. Voilà les deux points essentiels de la lutte contre l’impunité. Et nous aidons le gouvernement dans l’adoption des lois par rapport à ces deux éléments-là, deux éléments qui constituent pour nous le principe de la lutte contre l’impunité.

Est-ce que vous sentez le même degré d’implication chez les autres organisations nationales et internationales de défense de droits de l’Homme dans cette lutte contre l’impunité ?

Bon, je crois que tout le monde s’implique, mais selon la limite de ses moyens. Peut-être nous, nous avons eu la chance d’avoir un projet conjoint avec la fédération internationale de ligues des droits de l’Homme (FIDH) dont le siège se trouve à Paris et dans laquelle beaucoup d’autres ligues et organisations sont affiliées à travers l’Afrique et qui fédère les associations  locale au niveau des pays. Mais en réalité, la FIDH n’est pas une ONG française. En tous cas, c’est une vieille association qui est là et qui nous aide dans la documentation parce qu’elle a de l’expérience dans ce domaine, mais aussi dans la manière de rédiger les plaintes et de les déposer là où il faut.

Monsieur le président, vous avez parlé de rapports relatifs à l’atteinte aux droits de l’Homme due à la crise que nous vivons toujours. Quelle est l’année la plus sombre depuis 2012 ?

 Toutes les années ont, en réalité, été difficiles à vivre depuis 2012. Mais, je dirais que les violences massives ont été constatées avec l’effondrement de l’État en 2012 au nord, ainsi que fin 2018 et début 2019. Je crois que ces deux périodes ont été les plus meurtrières. Les populations tout comme l’armée malienne, on a perdu énormément d’âmes dans cette violence et même les forces étrangères dont les résultats laissent à désirer, selon beaucoup de Maliens. Au niveau des Nations-Unies, quand on prend les statistiques, c’est la mission la plus meurtrière que les casques bleus n’ont jamais connu. Donc, 2012 et 2019 ont été vraiment des années sombres pour le Mali en termes d’atteinte aux droits de l’homme.

Y a-t-il des chiffres ?

Oui, il y en a ! Sauf que là,  je n’ai pas ces chiffres exacts en tête. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il y a beaucoup pour ne pas dire trop de dégâts en termes d’atteinte aux droits de l’Homme.

Maintenant évoquons le dossier Amadou Aya Sanogo et ses co-accusés qui viennent de bénéficier d’une liberté provisoire après sept ans de détention.  Qu’est-ce cela vous dit en tant qu’un fervent défenseur des droits de l’Homme ?

 C’est un dossier important comme vous l’avez souligné, mais moi j’ai un sentiment mitigé là-dessus. J’ai toujours dit que je suis partagé entre deux principes que j’ai souvent défendus à savoir : la défense et la réparation de ceux qui ont souffert et des actes posées par ceux qu’on appelle les accusés.

Dans le cas de Amadou Aya Sanogo, il ne faut pas se voiler la face. Voilà des gens contre lesquels nous avons porté plainte au nom des victimes c’est-à-dire les Bérets rouges qui sont portés disparus entre le 30 avril 2012 et le 03 mai 2012. Donc, nous avons aidé les victimes qui sont venus nous voir pour nous demander de les aider à retrouver leurs fils, maris, tontons ou papas. C’est dans ce cadre que nous avons porté plainte et les enquêtes qui ont suivi, ont révélé que Amadou Aya et certains de ses camarades ont joué un rôle dans cette disparition. Des rôles soient passifs ou actifs ou même en tant que complices.

Maintenant ce qui est compliqué est que de 2013 à 2020, ils ont été gardés en prison sans être jugés. Alors moi qui défend les droits de l’homme, je défends souvent le droit de la défense, je défends beaucoup le droit d’un procès équitable et je défends les causes justes, c’est-à-dire ne pas détenir quelqu’un au-delà d’un certain temps. Une détention qui peut être anormalement longue. Donc, je me suis insurgé contre ça et il était temps que s’il n’y a pas de jugement, il faut au moins les mettre en liberté provisoire en attendant que les choses soient prêtes pour le procès.

Selon vous, qu’est-ce qui bloque le procès ?

En effet, il y a des raisons techniques, parce que je m’en tiens à mon dossier et je n’aime pas aller dans les  supputations dont je ne maîtrise pas le contour. Quand on a été à Sikasso, les avocats de la défense ont soulevé certaines irrégularités par rapport à la procédure c’est-à-dire, ils ont parlé des vices de procédure. Mais pour moi, la cour d’assises en transport à Sikasso aurait pu tenir le procès et jugé Sanogo et ses co-accusés.

Vous avez des dispositions dans le code de procédure pénale qui vous disent à partir du moment où un dossier qui est renvoyé aux assises dépasse les portes de la chambre d’accusation, est prêt à être jugé. Parce qu’il y a un arrêt qui renvoie les accusés devant les juges d’assises. Donc, rien ne pouvait empêcher la tenue du procès à Sikasso, rien ne pouvait empêcher que ce procès aille jusqu’à son terme, mais ce sont les avocats qui ont soulevé des irrégularités et les juges, malgré l’existence de ces dispositions, ont décidé, selon leur intime conviction, de reprendre les tests ADN et ceux qui étaient venus pour faire ces tests n’avaient pas prêté serment devant le juge d’instruction. Ces gens n’ont pas fait un serment et ils ont fait un rapport, normalement ça ne se fait pas comme ça, selon le code de procédure pénale malien. Mais, ils l’ont fait.

A partir du moment où la chambre d’accusation a balayé tous les vices, on pouvait aller au jugement. Voilà donc ce jugement renvoyé à Bamako avec son problème de tests ADN, mais ce qu’on ne vous dit pas, c’est qu’il y’avait une vraie complication.

Quand on quittait Sikasso après la suspension du procès, il y avait 21 crânes humains au CHU Gabriel Touré. Au moment où on reprenait les tests ADN, il y en avait 28. Donc, ce sont des éléments techniques que beaucoup de personnes n’abordent pas, alors que c’est peut-être une des causes du retardement du procès. Indépendamment de ça, je ne vois pas beaucoup d’autres raisons. Mais, tout ce que je sais, c’est que l’affaire a trop duré sans procès et ce n’est pas  normal. Maintenant, quand tu regardes de l’autre côté aussi, des gens qui ont perdu des parents et qui sont restés pendant plus de six ans sans recevoir la moindre offre d’indemnisation, ça aussi c’est compliqué. Voilà pourquoi, je suis partagé entre deux sentiments. Les accusés devraient savoir à quelle sauce ils vont être mangés et les victimes devraient savoir aussi qu’est-ce qu’ils peuvent bénéficier à travers ce procès. C’est-à-dire la vérité et la réparation.

Aujourd’hui, les présumés accusés viennent de bénéficier d’une liberté provisoire. Vous en tant qu’avocat, pensez-vous que c’est une décision indépendante de la justice où il y a eu une influence politique ?

Non ! Je ne pense pas qu’il y ait eu une influence quelconque. Il y a un mandat qui a expiré depuis avant d’aller à Sikasso, parce que la durée du mandat de dépôt est de trois ans. Ensuite, il y a une ordonnance de prise de corps pour renvoyer devant la chambre de jugement, mais cet organe de prise de corps connaît quelques lacunes dans le code de procédure, c’est-à-dire on ne parle pas de la durée de prise de corps. Les présumés accusés n’étaient plus avec le juge d’instruction, mais étaient détenus par ce qu’il y avait cette ordonnance de prise de corps.

C’est une raison qui, pour moi, n’était pas suffisante pour les maintenir en détention. Moi, je pense, en tant militant des droits de l’Homme, qu’il était temps de les mettre en liberté provisoire, si on ne va pas au jugement tout de suite.

Selon vous, cette liberté est-elle vraiment provisoire ?

Oui ! Bien-sûr que c’est une liberté provisoire, parce que le fond du dossier est à venir et là aussi on n’a discuté de rien, on n’a discuté que de la représentativité des détenus, est-ce quand on les libère aujourd’hui demain on pourra les avoir pour un jugement ? Je pense que tout le monde a intérêt à ce que le jugement se tienne, y compris Amadou Aya Sanogo et ses co-accusés. Ils sont les premiers à avoir intérêt que ce jugement ait lieu. Parce qu’il y a une épée Damoclès qui reste suspendue sur leurs têtes. Ils ne peuvent pas rester éternellement sous une liberté provisoire, ce n’est pas bien pour eux-mêmes. Il suffit que  les choses changent et celui qui veut vraiment les juger, vienne seulement avec un autre instrument juridique, il va pouvoir les juger. Donc, ils ont intérêt à ce que le jugement se fasse tout de suite en tout cas dans un délai raisonnable.

Dans ce cas actuel, quel sort peut-être réservé aux victimes, parce qu’il n’y a pas eu de justice donc comment faire la réparation?

Non, justice et réparation font deux. Il peut ne pas avoir de la justice, mais il peut y avoir une réparation. Vous avez vu l’institution de la commission Vérité-justice-réparation (CVJR). C’est une commission qui est mise en place pour recenser les cas de violation et ensuite proposer une réparation. Mais, les gens ne voient pas cela. Or, il peut y avoir réparation sans jugement, surtout dans ce cas précis.  Il y a un processus en cours pour arriver à l’indemnisation des victimes et ce processus va être mené jusqu’au terme. Parce que tout le monde a son intérêt. Parce que les victimes aussi sont restés sept ans et n’ont même pas pu faire le deuil de leur proche, ça aussi c’est compliqué. Donc, il peut y avoir réparation sans jugement, comme la réparation peut-être aussi prévue dans un jugement. Parce qu’il y a deux aspects pendant le jugement: l’aspect pénale, ça c’est la condamnation, la répression et l’aspect réparation prévue dans un procès par exemple : si je me fais escroquer par quelqu’un et dans le procès, on me dédommage, je n’ai plus rien à avoir avec le procès. Parce que j’ai eu ce que je cherchais. Il ne faut pas que les gens pensent que cela participe à la promotion de l’impunité. Nous en tant que défenseur des droits de l’homme, ce qui nous intéresse le plus est qu’il y ait réparation que les victimes soient dédommagées sinon si l’on condamne le coupable à plusieurs années de prison et que la victime n’a rien je ne vois pas d’intérêt. Dans un procès, les accusés luttent pour ne pas être condamnés et les victimes luttent pour avoir réparation sinon ça n’a pas de sens.

Monsieur le président, au cas où la justice ne revient pas sur l’affaire Sanogo, qu’est-ce que l’AMDH compte faire ?

Nous avons déjà commencé à interpeller le gouvernement. Quand vous regardez le communiqué conjoint que l’AMDH, la FDH ont fait avec les autres  avocats des parties civiles, nous avons dit que nous prenons acte de la mise en liberté provisoire de Amadou Aya Sanogo et ses co-accusés, mais demandons aussi que le procès aille à son terme. Voilà ce qu’on a dit au gouvernement et à tout le monde parce qu’un procès a toujours une fin. Il faudrait que ce procès aussi ait un terme.

Quel est votre mot de la fin ?

Je voudrais parler de la loi d’Entente nationale, une loi qui permet à beaucoup de criminels d’échapper à la justice. Qu’est-ce que cette loi dit ? La loi d’Entente Nationale dit que si tu ne commets pas un crime contre l’humanité, un crime de guerre, un crime de génocide où de violence sexuelle, tu échappes à la répression en république du Mali. Cette loi a été votée et promulguée en juillet 2019.

Donc, vous pensez qu’il faut revoir cette loi d’Entente Nationale?

Oui ! Dans quelques dispositions. A mon avis, il y a des parties à amender. Il y a certains articles qui doivent être revus. Même dans le dossier de Amadou Aya Sanogo, si les avocats de la défense mettent sur la table la loi d’Entente Nationale et que les juges ont les mêmes perceptions qu’eux, il n’y aura plus de procès. Les gens s’agitent pour rien.

Merci monsieur le président ! 

C’est moi qui vous remercie !

 Interview réalisée par Amadou Basso

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