Méchage: le Mali Kura ne se refuse rien

Disons cela et passons à autre chose rapidement. Quand la date du 18 juin a été annoncée comme étant celle du référendum, il y a quelques vieux de la vielle qui n’ont pas manqué de faire remarquer que ça leur rappelle le référendum de Moussa Traoré du 2 juin 1974, juin pour juin à 50 ans d’intervalle. Presque normal dans la mesure où, selon eux, ceux qui dirigent aujourd’hui la Transition sont les rejetons biologiques et politiques des membres du CMLN et de l’UDPM, comme une sorte de revanche sur l’histoire. Donc, il faut les surveiller comme du lait sur le feu préconisent-ils, des fois qu’ils seraient tentés de repasser les plats de l’histoire. Mais, on ne peut pas passer à autre chose pour le moment parce que le référendum tend à occulter tous les autres vrais problèmes du pays. C’est ainsi, parce que les autorités ont décidé que c’était plus important que tout le reste, donc allons pour le référendum. A la date d’aujourd’hui, la conséquence de la démarche des autorités est d’être parvenue à diviser les Maliens autour du projet de constitution. Mais visiblement ce n’est pas important dès l’instant où, même non consensuelle, la nouvelle constitution constitue leur priorité. Pourquoi ? Excusez du terme, parce que, pensent-ils, ça devrait protéger leurs arrières. Primo, si la Constitution est votée, les militaires qui dirigent, que tout interdit pour une carrière politique immédiate lors des élections à venir, pourraient contourner les obstacles légaux et jurisprudentiels (la Charte leur interdit de se présenter et la jurisprudence que nous avons de la première Transition de 1992 à la Transition de 2013 le leur interdit également). Secundo, le projet de constitution comporte un article qui les intéresse directement, plus que tout le reste du texte d’ailleurs car il les protège personnellement. En effet, au niveau des disposions particulières, l’article 188 stipule : « les faits antérieurs à la promulgation de la présente Constitution couverts par des lois d’amnistie ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de poursuite, d’instruction ou de jugement ». C’est du jamais vu, nulle part ; mais il faut croire qu’avec le Mali Koura on ne se refuse rien, y compris de repousser sans cesse les bornes.

Nous devrions peut-être rappeler, au cas où certains l’auraient oublié, que tout le monde est d’accord pour doter le Mali d’une constitution plus actuelle, une constitution plus moderne, une constitution répondant aux aspirants des Maliens. Dès lors qu’il ne s’agit pas d’une compétition électorale, les autorités auraient pu se donner le temps d’écouter toutes les parties afin d’insérer dans le texte ce qui est acceptable, et obtenir un texte le plus consensuel possible. Au lieu de cela, ils ont préféré le forcing, un forcing aux allures de bricolage. Or eux savent, plus que tout le monde d’ailleurs, que la constitution n’est pas le protège-tibia qu’elle aurait dû être, la constitution n’est pas le protège-tibia qu’on avait espéré qu’elle fut. Ils sont les derniers auteurs d’un coup d’état, crime imprescriptible, selon la constitution en vigueur, ils ont même fait un coup d’état, dans le coup d’état, deux coups d’état en 9 mois (leur devancier n’est autre que le capitaine Sanogo devenu général). Nous ne le souhaitons pas, mais si jamais des bidasses s’amusent à faire comme eux, la couverture si savamment bricolée sauterait. Leur sécurité et leur futur dépendent d’eux-mêmes, de la manière dont ils comptent partir ou ne pas partir. Ils peuvent toujours fabriquer des gens à eux, des hommes de confiance, des hommes liges même à qui ils passeront le pouvoir. Mais qu’ils se rappellent qu’il n’y a que le pouvoir de Dieu qui est infini. Moussa Traoré a fait 22 ans, 4 mois et 7 jours au pouvoir (ces précisions sont de lui lors du procès crimes de sang en réponse à ManassaDagnoko qui officiait en tant que procureur, qui lui disait qu’il avait fait 23 ans au pouvoir).

On peut comprendre la tentation qui les étreint parce que subitement se retrouver de la brousse pour certains d’entre eux au sommet de l’Etat, dans des palais et autres villas cossues, ça peut vous changer un homme. Ne parlons même pas de tous les honneurs, les cortèges toutes sirènes hurlantes, les nombreuses petites mains pour satisfaire les moindres désirs ; la multitude d’obligés prêts à devancer leur moindre désir; il y a de quoi déstabiliser les plus solides. Mais il faut savoir partir (ils avaient 18 mois lors de la première phase de la Transition ; lors de la seconde phase consécutive au deuxième coup d’Etat, Assimi avait déclaré aux Maliens qu’il restait juste 9 mois, ils se sont donné une rallonge supplémentaire en repoussant encore les bornes à leur guise ; maintenant, malgré tout, on est à moins d’un an , et bien sûr que ça fait de la pression). Ils ont le pouvoir. Rien ni personne ne leur résistent. Ils peuvent placer des parents dans la haute administration et dans les ambassades et consulats, ils peuvent pistonner un ami. Ils disposent d’un pouvoir financier qui leur permet de créer des opportunités pour qui ils veulent, comme financer des longs voyages à but lucratif vers Dubaï ; comme ouvrir des alimentations et des restaurants pour leurs  amies et leurs épouses. En somme, ils ont compris que la République est comme un fromage, et comme tout bon fromage il y a des trous à occuper. Et de toute évidence, ils ne se privent pas et y prennent du goût. Certainement qu’ils se trouvent dans la position de tous ceux qui ont eu le pouvoir, démocratiquement ou à coups de fusils. Même s’ils ont l’intention de partir, ils subissent toutes sortes de pressions, pressions de la famille, pressions des amis, pressions de tous ceux qui vivent grâce à eux, de tous ceux qui sont devenus subitement « importants » et qui ne veulent plus retourner à leur vie antérieure, de tous ceux qui vivent pour eux. Mais ils verront, il y a une vie après le pouvoir.

Pour rester quelque peu sur le référendum, disons que de nombreux Maliens sont vents débout. Alors qu’on pouvait faire en sorte que tout le monde s’y retrouve. Et également faire en sorte que, même s’il n’est pas voté maintenant, que le projet de Constitution soit une obligation pour le nouveau pouvoir qui ne fera pas l’économie d’une vraie transition cette fois-ci et qu’il soit le premier acte à poser. Nous disons cela parce que les sceptiques sont nombreux quant à la possibilité d’organiser le référendum à la nouvelle date fixée, même quant à la volonté d’organiser les élections d’ici février 2024. Quand on regarde un peu la manière dont les événements se déroulent, il semble que la volonté affichée n’est pas soutenue par des actes pérennes. A la chute du régime d’IBK, ses tombeurs ont claironné partout que le talon d’Achille de la démocratie malienne se trouve au niveau des élections. D’où l’obligation d’organiser des élections transparentes et fiables qui devraient être l’acte fondateur du Mali Koura. L’idée de la carte biométrique a ainsi été adoptée comme étant une sorte d’assurance tout risque. Tout l’échafaudage électoral avait pour socle les fameuses cartes biométriques. Et puis patatras. Les dates sont là, mais non les cartes. Le premier report était prévisible. La nouvelle date ne semble pas aussi convaincre les Maliens qui énumèrent de nombreuses incongruités. La première incongruité c’est cette histoire de faire voter désormais non plus seulement avec la carte biométrique dont la production est très lente et très insuffisante mais l’ensemble des pièces d’identité à l’exception notable des actes de naissance. Donc toute la propagande sur la Transparence, sur la nécessité d’avoir des élections clean, propres, qui ne seront pas contestées tombent à l’eau avec bien entendu le peu de crédibilité qui enrobait le discours politique. La deuxième incongruité concerne les actes indispensables sans lesquels il n’y pas d’opération électorale. JeamilleBittar déclarait l’autre jour qu’à sa connaissance aucun appel d’offre n’a été lancé pour la confection des actes d’électeurs. Or nous sommes à un mois de la date fatidique. Il s’est aussi interrogé sur la formation des agents électoraux qui n’a pas encore commencé. Normalement c’est une opération qui se fait le plus tôt possible et sur toute l’étendue du territoire. Et bien entendu, il y a l’inévitable question de l’insécurité. La constitution est très claire quant à la possibilité ou non de tenir un référendum alors que des parties importantes de notre territoire échappent à notre contrôle. Sans vouloir casser le moral des thuriféraires béats, il y a des juristes et autres hommes politiques qui ont l’intention d’attaquer les actes devant les juridictions compétentes afin de les annuler. Pour eux, le Président de la Transition n’a aucune compétence au regard de la Constitution en vigueur pour vouloir doter le Mali d’une nouvelle constitution. Donc il va y avoir du sport.

Nous aurions bien voulu parler un peu du sondage dont les conclusions ont laissé pantois même les plus fidèles de la Transition. En effet, déclarer que 9 Maliens sur 10 sont satisfaits de la Transition a de quoi surprendre même les autorités en place. Tant d’amour déclaré a de quoi étouffer. Quand on voit le mécontentement de tous les Maliens concernant EDM par exemple, il y a de quoi mettre un peu de bémol dans les résultats, un peu de pondération dirait-on du côté des sondeurs. Ceux qui ont conduit le sondage devraient savoir que les Maliens sont tellement courageux que parfois ils disent le contraire de ce qu’ils pensent de peur qu’on ne les identifie et qu’on ne les maltraite après (l’histoire de la cagoule fait flipper beaucoup de personnes). Donc nous ne parlons pas du sondage. Tout comme nous ne parlons pas de Moura, ni du rapport de l’ONU, ni de la riposte du gouvernement, ni de la riposte sous forme de soutien du gouvernement burkinabé. Ce n’est pas utile même s’il y a matière. Tout comme il y a beaucoup de matières pouvant servir de grain à moudre. De cela, et de bien d’autres, nous parlerons la semaine prochaine, in shaallah. Parce que tout le monde le constate, le Mali Kura ne se refuse rien.

Tiégoum Boubèye Maïga

Source : La Nouvelle République