Décryptage: les gouvernements et l’engagement

Dans ce dernier article de 2022, plongeons-nous dans ce que recouvre la notion d’engagement. L’occasion rêvée d’ouvrir un débat et de nouveaux sentiers qui pourraient mener à la paix. Libres d’y croire ou de ne pas y croire…

L’engagement signifie prendre parti pour une cause noble et humaine, tels que l’accès à l’alimentation, l’eau, l’éducation, la justice, le logement, la paix, la solidarité, la santé, etc. Ce faisant, l’engagement est un acte de promesse par lequel on s’oblige volontairement à se consacrer au service de la nation, de la paix, de la transparence… Selon H. S. Becker (1960), l’idée d’engagement « … met en évidence les mécanismes par lesquels une action passée associe à une ligne d’action des intérêts qui lui sont étrangers ». Pour un individu ou un groupe, la ligne d’action, c’est cette attitude à agir de façon cohérente, car il serait moralement insupportable de faire autrement. Une définition que je fais mienne malgré sa prédominance sociologique. Je parie qu’elle retiendra l’attention des chantres de la bonne gouvernance. Par exemple, il est moralement acceptable de s’engager à ramener la sécurité et la paix dans une famille, dans un pays.

S’engager pour la justice, et contre le mensonge. S’engager à honorer un contrat de travail, un contrat avec la société. S’engager à respecter son voisinage, son interlocuteur dans un débat d’idées, etc. S’engager à respecter la liberté d’opinion. Verbal, écrit ou tacite, l’engagement est donc un apprentissage au long court. Il ne vaut que par sa tenue. Le contraire de l’engagement, c’est bien sûr le désengagement : se dispenser du contrat à préserver l’unité d’une nation. La différence entre les deux notions, c’est que dans l’engagement, on respecte la parole donnée, alors qu’avec le désengagement, on foule au pied les règles et les accords. Certes, l’engagement a ses limites lorsqu’on prend fait et cause pour la délation, la terreur ou la violence. Il peut aussi être fragilisé par l’opportunisme et la corruption. Mais comment se traduit l’engagement dans nos sociétés ?

Eternel recommencement

Depuis 1960, au Mali, il n’y a pas eu d’engagement durable au sommet de l’Etat. C’est l’instabilité qui nous gouverne, quels que soient le régime et le contexte. Sous la bannière du Comité national de Défense de la Révolution, la politique de révolution active de Modibo Keïta, 1er Président du Mali indépendant, a vite disjoncté. Cause : dérives de la milice populaire de Modibo Keïta, et putsch militaire de Moussa Traoré contre ce dernier en 1968. Les tensions sont permanentes entre les exécutifs, les syndicats et les partis politiques. Aujourd’hui, les désaccords pourraient s’afficher à tout moment entre les acteurs de la transition. Par exemple, le couple Goïta/Maïga a beau être uni comme le fut Ibrahim Boubacar Keïta/Boubou Cissé, il est exposé aux risques de fissure. Leur alliance ne peut être que conflictuelle. Le désengagement de l’un envers l’autre peut advenir à tout moment. Sur un tout autre plan, le rapport de l’exécutif actuel à la Charte de la transition convient pour analyser la notion d’engagement. Dans l’article 2 de la Charte modifiée du 26 février 2022, la transition promet : « le rétablissement et le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national […] la promotion de la bonne gouvernance ; […] l’organisation des élections générales […] ». Pour l’instant, le compte n’y est pas. Le volontarisme sécuritaire de l’exécutif s’est heurté à la complexité du contexte géopolitique et à l’antagonisme des intérêts. Ainsi, la vie des Maliens est infernale dans le Liptako-Gourma à cause du contexte sécuritaire détraqué. C’est l’éternel recommencement. Les crises s’enchainent. Pas uniquement au Mali.

La torpille russe

Le 3 décembre 2022, la transition burkinabé « […] a décidé de la suspension immédiate jusqu’à nouvel ordre, de la diffusion des programmes de Radio France Internationale (RFI) sur toute l’étendue du territoire national […] ». En cause, la diffusion par RFI d’une information à propos d’une tentative de putsch, visant le pouvoir du capitaine Ibrahim Traoré, Président de la transition burkinabé. Du point de vue politique, RFI gène. La liberté de la presse est menacée. Pour éviter de probables anicroches avec l’exécutif, le risque d’autocensure des journalistes burkinabés n’est pas à exclure. Par ailleurs, le Burkina-Faso emboite le pas à son voisin malien qui a déjà suspendu RFI et France 24 en avril 2022. Il se passe des choses dans le Sahel. Sous la pression sécuritaire, ça s’agite. Selon un observateur anonyme, la torpille russe serait à l’œuvre. Les convoitises s’intensifient. Le Sahel est pris entre deux feux, celui du narcoterrorisme et celui du désespoir. Mais, ce qui est sûr, c’est qu’il y a une conjonction de situations quasi identiques. Le spectre de l’isolement plane sur le pays des hommes intègres. La vie publique se caporalise. Les crises coupent les liens. Inquiétant. Ailleurs, en Asie, grâce à l’engagement et au réveil citoyen des Iraniens, le slogan en trois mots « femme, vie, liberté » secoue le régime des Ayatollah. L’espoir est permis !

Le supplice de tantale

Remarquons : par rapport à nos promesses, nous avons toujours eu un engagement par défaut à cause de notre inconstance. Personne ne veut perdre la face. Or, une consultation régulière des citoyens pour connaitre leurs demandes pourrait être une variable d’ajustement. Elle permettra de mieux concilier engagement et capacité à changer le pays. En ce sens, il ne serait pas inutile de tenir le Conseil des ministres à Gao, Kidal, Ménaka, Mopti, Ségou, Tombouctou, etc. Au moins une fois par mois. On m’objectera que la sécurité ne le permet pas. Mais, ce sera un beau message aux Maliens qui vivent le supplice de tantale. Lesquels Maliens sont affamés, assoiffés et humiliés par les narcoterroristes. Mais, faisons de la sécurité un sujet de débat public.

Le gloubi-boulga de la gouvernance

Terminons par là où ce papier a commencé, l’engagement, ce référentiel de « valeurs culturelles et universellement acceptées, qui informent et contraignent les comportements ». On est condamnés à respecter nos engagements si on veut sortir du gloubi-boulga de la gouvernance. Le bien-être de nos concitoyens en dépend. Pour cela, il urge de former la jeune génération à s’engager pour construire des chemins républicains au Mali et au Burkina-Faso. S’engager, c’est se donner les outils de la responsabilité et de la citoyenneté pour construire des projets novateurs. Enfin, les enjeux de puissance et de pouvoir, les conflits d’égo, les réseaux de fausse information et de désinformation ne doivent pas avoir raison de notre capacité à s’engager pour la paix et la sécurité, et cela, au-delà de Bamako.

À l’année prochaine, si vous le voulez bien. Entre-temps, écoutons Savane du célèbre musicien malien, Ali Farka Touré, l’homme aux trois Grammy Awards, le « John Lee Hooker africain ».

Mohamed Amara, Sociologue

Source: Mali Tribune

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