Politique : L’Etat de la nation

L’année qui s’achève a vu la célébration des soixante ans de notre pays toujours en butte à de grands défis sociaux, financiers et économiques. En effet, 2020 a mis en exergue de nombreux problèmes au peuple malien. Ces douze derniers mois ont tristement été ponctués dans notre pays de conflits communautaires, sanglants et meurtriers, auxquels se sont ajoutées des disparitions inestimables de plusieurs de nos anciens dignitaires comme les Présidents Moussa Traoré et Amadou Toumani Touré, mais aussi du Chef de l’opposition malienne, Soumaïla Cissé et bien d’autres citoyens dont nous ne saurions citer tous les noms, mais tous très importants pour notre société. Que leurs âmes demeurent en paix pour l’éternité.

Notre pays autant que le reste du monde fait face à la très virulente pandémie du coronavirus, vorace en vie humaine, fauchant à grands andains et révélant la faiblesse notoire de nos dispositifs de santé. Le spectacle affligeant des ravages de la maladie, de la mort et des attaques terroristes, de même que la perte de nos valeureux soldats tombant par milliers sur les champs d’honneur victimes d’une guerre asymétrique sous une gouvernance scénarisée depuis des années, ne peuvent nous inspirer que consternation et componction.

Nous nous inclinons respectueusement devant le courage et le sacrifice des Maliens qui endurent, avec beaucoup de dignité et de philosophie, les épreuves de ces moments difficiles qui nous espérons ne seront qu’une parenthèse de notre histoire commune et de notre destin commun.

Aussi, nos pensées et nos prières accompagnent tous nos citoyens au premier rang desquels ceux en uniforme qui risquent chaque jour leur vie au nom de notre nation, et à leurs familles qui vivent dans l’anxiété.

Les attaques terroristes contre nos communautés augmentent, mais la capacité de notre pays à y faire face est entravée par non seulement la mauvaise gestion des affaires publiques, mais aussi l’état de préparation et d’aptitude de nos forces de défense et de sécurité, le manque d’acquisition d’équipements adaptés et la capacité de collecter de meilleures données empêchent nos troupes de réagir rapidement et plus efficacement.

Malgré ces heures critiques pour la nation, les conflits sociaux avec plusieurs corporations dont les magistrats, les enseignants, les personnels soignants hospitaliers, ne trouvent aucune issue.

Or, sur cette grogne populaire se greffe la propagation du virus mortifère. Pourtant, les Maliens doivent comprendre qu’ils ne peuvent plus se payer le luxe de divisions stériles et de jugements de valeur portés sur les uns et les autres.

Incontestablement, l’ensemble des forces vives de la nation doit prendre ses responsabilités et à placer l’intérêt supérieur du Mali au-dessus de toute autre considération. Les difficultés ne comptent pas lorsque sont en jeu l’intérêt de la nation et l’avenir commun des maliens. Faisons-en sorte que notre pays sorte plus fort de cette situation. Pour cela, il nous faut de la clairvoyance et du sens des responsabilités. Nos actions doivent s’inscrire dans le cadre de ce devoir de responsabilité face à notre devenir collectif.

Il va sans dire que les crises que nous vivons sont le résultat de choix faits par les hommes politiques qui ont surement oublié qu’une vraie démocratie ne peut que se reposer sur un État de droit et une justice sociale garantissant : le respect des droits de la personne, le principe de l’accession au pouvoir par le suffrage populaire exprimé dans la transparence et la régularité, l’alternance au pouvoir, le respect des différences au plan politique et culturel. Et, c’est face à cette crise profonde qui touche notre pays que notre peuple qui a beaucoup souffert et qui continue d’être traumatisé par des hommes politiques sans foi ni loi a décidé de prendre sa responsabilité et placer l’intérêt supérieur du Mali au-dessus de toute autre considération.

Il a compris que la reconquête de nos valeurs ne sera efficace que si elle s’appuie sur des citoyens mobilisés et acteurs de leur propre changement. En effet, le peuple Malien et ses forces armées et de sécurité se sont donné comme obligation de sauvegarder notre souveraineté et de maîtriser notre destin en posant des actes destinés à renforcer le sentiment de fierté nationale.

Ainsi, les événements que le Mali a connu dans la journée du 18 août 2020, qui peuvent être ni souhaitables ni acceptables dans une véritable démocratie, ne sont que les conséquences des actions et décisions prises par la classe dirigeante de notre pays au cours de ces dernières années qui ont affamé notre peuple, déplumé nos forces de défense et de sécurité, détruit notre tissu social et mis notre pays dans le chaos actuel; mais aussi et surtout des conséquences liées aux problèmes de politiques de gouvernance non adaptées. Il y a une césure de plus en plus évidente entre la population et nos politiciens ou, plus largement, entre les cercles de pouvoir et la société civile.

Le peuple malien cherche une nouvelle voie. Cette soif de renouveau politique est peut-être encore plus grande chez les plus jeunes. Le modèle de démocratie imposé aux maliens s’est essoufflé. Les scandales politiques, financiers et militaires donnent l’impression profonde que notre façon de faire et de vivre ne convient plus.

Ces faits nous indiquent combien sont prégnants le désir d’honnêteté, de droiture, de transparence, chez le Malien dont l’ascendance s’est toujours singularisée par les vertus d’honneurs.

Ainsi la nation et sa consolidation ne peuvent résulter que de la mise en œuvre de politiques de gouvernance adaptées et des institutions qui représentent réellement les aspirations du peuple. La nation elle-même ne peut que se reposer sur un État de droit et une justice sociale. Quand l’État de droit est menacé et les démarches persuasives épuisées, son seul recours devient les forces armées et de sécurité. Aussi, une véritable démocratie ne peut que se reposer sur des forces de défense et de sécurité modernes et républicaines.

La situation économique et financière de notre pays est calamiteuse et les perspectives sont défavorables. Les finances publiques sont malsaines et bénéficient d’une gestion prédatrice. Le fléau de la corruption reste important et répandu dans tous les secteurs de la vie nationale. L’existence des malversations à grande échelle dans le secteur public est confirmée par le Vérificateur général du Mali (Végal) dans ses récents rapports. La gestion prédatrice du gouvernement précédent a entraîné un manque à gagner de milliards de franc CFA pour l’État malien.

Les Maliens ont surement plus que jamais besoin de dirigeants intègres et dignes de confiance capables de trouver des solutions à la crise profonde qui touche notre pays. Et ils veulent surement un gouvernement compétent qui soit prévisible, solide et transparent.

Aujourd’hui, plus que jamais, la paix dans notre pays est un véritable défi pour l’ensemble des citoyens touchés par la peur du lendemain. L’état de la nation est certes très inquiétant, mais l’année qui s’ouvre doit nous permettre de construire une bonne part de notre avenir. Nous devons conjuguer nos efforts et énergies en commun pour mieux faire face à l’adversité, mais surtout relever ensemble les grands défis auxquels notre pays est confronté.

Il est juste d’affirmer aujourd’hui que la gouvernance malienne est en crise. Les citoyens se rendent bien compte que les tensions et les conflits persistent. Les institutions sont impuissantes en face de questions dont l’échelle et la complexité les dépassent. Elles n’arrivent même plus à amortir la détérioration prévisible des conditions de vie des populations. Les conflits actuels ont des causes multiples : inégalités économiques, conflits sociaux, sectarismes religieux, disputes territoriales. Dans tous les cas, ils illustrent une profonde crise de la manière dont notre pays a été gouverné jusque-là.

Ces mêmes institutions n’arrivent pas à inverser la tendance généralisée d’une aggravation de ces conflits et d’une détérioration irréversible de notre tissu social. En effet, nos institutions politiques peinent à répondre aux besoins et aspirations de notre peuple. Force est de constater que le système de gouvernance actuel a failli. Le besoin en compétence ingénieuse et innovante est sans ambiguïté.

Notre conviction est qu’il faut transformer le Mali au niveau de ses structures politiques et sociales artificiellement édifiées dans l’intérêt d’une classe politique corrompue et capricieuse. Il faut un changement profond dans les politiques de gouvernance de notre pays pour faire émerger un système politique meilleur, nourri des valeurs et des structures sociales et culturelles maliennes.

Les défis auxquels sont confrontés nos gouvernants sont nombreux, notamment le rétablissement d’un environnement sécurisé sur l’ensemble du territoire, la restauration de l’État de droit, la consolidation des services de l’État, la réconciliation et le renforcement de la cohésion sociale. Il devient certes urgent de mettre un terme à cette situation tragique que les Maliens subissent par l’incurie de politiques irresponsables et d’extrémistes malveillants, mais il est encore plus important de trouver des solutions efficaces et pérennes aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Il est de notre responsabilité de réagir et de nous mobiliser, en contribuant à élargir et à mieux articuler nos aspirations. Nous devons intensifier les mobilisations non pas seulement pour critiquer et lutter contre les institutions en place, mais également et surtout pour assumer nos responsabilités citoyennes en prenant part à l’écriture de notre destin collectif.

Nous prions non seulement pour que notre pays trouve les ressorts et les moyens nécessaires pour se détacher de cette période trouble de son existence, mais aussi pour que l’année nouvelle s’annonce comme porteuse d’espérance et de renouveau. Conséquemment, nous vous souhaitons une heureuse et sereine fin d’année et formons nos vœux de bonheur les plus chaleureux pour le nouveau cycle qui commence. Que Dieu assiste notre Nation et qu’IL vous bénisse dans vos cheminements.

Cheick Boucadry Traoré

Source: Mali Tribune 

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