ATT, «un bâtisseur» qui a aussi conduit à la «déliquescence de l’État»: Brema Ely Dicko

Du coup d’État qu’il a mené en 1991 pour instaurer la démocratie au Mali, à celui qui l’a renversé en 2012, et même jusqu’à sa mort la nuit dernière, Amadou Toumani Touré a marqué de son empreinte la vie politique malienne. Stratégie du consensus, développement des infrastructures du pays, mais aussi accusations de corruption et de mauvaise gestion. Brema Ely Dicko, sociologue à l’université de Bamako et spécialiste de la politique malienne, revient sur le parcours politique d’ « ATT ».

RFI : ATT faisait partie des officiers qui ont renversé Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Il a dirigé le Comité de transition pour le salut du peuple, qui a instauré le multipartisme au Mali. Son entrée dans le monde politique ressemble un peu à une arrivée providentielle ?

Brema Ely Dicko : Oui, on peut le dire. Il est vrai qu’il arrive dans un contexte de crise, avec beaucoup de soulèvements des jeunes, de la société civile… Pour les Maliens, il fallait renverser le général Moussa Traoré. Donc son arrivée était vraiment attendue, pour les Maliens c’était l’occasion de remettre le Mali sur les rails, dans le sens de la démocratie.

Il a d’ailleurs, ensuite, laissé la place aux civils…

Effectivement, il a eu le mérite de rapidement prendre conscience que les militaires ont leur place plutôt dans les casernes que dans des bureaux climatisés. Il a rapidement organisé des élections, au bout de quatorze mois de transition. Rapidement, une constitution a été adoptée et donc la démocratie commence, avec une alternance qui a continué jusqu’à récemment.

ATT est finalement élu président en 2002. Pourquoi ce retour aux affaires ?

Vous savez, lorsque vous quittez les hautes fonctions dans un pays et que vous retournez dans les casernes, il y a toujours des tentations, parce qu’il y a toujours l’entourage qui vous mobilise, qui essaie de vous faire un peu la cour… Donc il est arrivé un moment où la classe politique était très divisée, et la société civile aussi était assez politisée. Et donc pour nombre de ses partisans, c’était l’homme de la situation. Ayant compris les enjeux, il a créé un mouvement citoyen qui a su le porter au pouvoir en 2002, pour pouvoir aller finalement au-delà des clivages politiques.

Vous dites « au-delà des clivages », et c’est vrai qu’ATT a érigé le consensus comme fondement de sa doctrine politique. En quoi est-ce que cela consistait ?

Cette politique consistait à faire en sorte que les Maliens puissent se retrouver autour de l’essentiel. Son slogan, quand même, c’était « Le Mali qui nous unit ». Pour lui, le Mali avait besoin de tous ses fils, au-delà de leur appartenance partisane, au-delà de leur appartenance ethnique… Pour lui, c’était le seul moyen pour que le Mali puisse prendre enfin le chemin du développement.

Et c’est ce qui a valu au Mali d’être longtemps cité comme modèle de démocratie en Afrique de l’Ouest ?

Ça, entre autres. Parce que le président Oumar Konaré a fait deux mandats et ensuite il a organisé des élections. Et lorsqu’Amadou Toumani Touré est arrivé à la tête de l’État, il a fait en sorte que le multipartisme puisse continuer, que les gens puissent être élus sous la bannière de leur parti politique… mais une fois élus, que les gens travaillent ensemble.

Mais finalement, aujourd’hui, le bilan de cette stratégie du consensus est largement contesté ?

Oui, parce que beaucoup de Maliens disaient que c’était un consensus sans débat, alors que dans un pays, lorsqu’il y a des crises, il fallait d’abord débattre. Ça, c’est vraiment un des points que beaucoup de Maliens lui reprochaient, en disant qu’il a « tué » finalement les partis politiques, parce que tout le monde était autour de lui et on ne voyait pas l’opposition. Or, dans un pays, l’opposition joue un rôle fondamental : de critique, mais surtout de veille de l’action gouvernementale.

L’une des principales critiques qui lui est faite également, c’est d’avoir commencé à négocier les libérations d’otages occidentaux enlevés par al-Qaïda dans le nord du Mali.

Oui… Alors ça, les gens le disent, mais il faut le replacer dans un contexte sous-régional, où des groupes terroristes narcotrafiquants commençaient à s’implanter çà et là… Et lorsque des otages sont enlevés sur votre territoire, vous êtes obligé de vous impliquer pour leur libération. Il l’a fait, mais il n’était pas le seul. Au Burkina aussi, le président Blaise Compaoré, en son temps, avait envoyé des émissaires pour pouvoir libérer des otages occidentaux. Donc cela permet de renforcer des liens avec les pays dont les ressortissants ont été enlevés.

Et lui-même, en a-t-il tiré profit politiquement, financièrement ?

Politiquement, oui. C’est toujours un succès politique d’arriver à faire libérer des citoyens d’un autre pays, qui ont été enlevés sur son territoire ou qui y sont détenus. Maintenant, financièrement, on le dit… Je n’ai pas vu quelqu’un qui a les preuves, même si cela s’est beaucoup raconté. Il y a eu beaucoup d’articles sur la question, mais cela reste à prouver.

En 2012, ATT est à son tour renversé par un coup d’État militaire, celui du capitaine Sanogo, devenu depuis général. La raison principale, c’est sa gestion de la rébellion touareg dans le Nord ?

Entre autres. Vous savez, Amadou Toumani Touré était à son deuxième mandat. Il lui restait simplement deux mois avant la fin du mandat et des Maliens commençaient à douter de sa volonté de ne pas faire un troisième mandat. Après, d’autres personnes ont critiqué plutôt sa gestion de la situation d’insécurité dans les régions du Nord. Il y avait quand même une certaine corruption qui s’était développée dans l’administration. Des rapports du Vérificateur général mentionnaient des milliards de malversations financières. L’impunité était devenue une sorte de règle et, finalement, on était tombé dans une sorte de déliquescence de l’État. Dans ce contexte de grogne sociale, des militaires sont intervenus, comme ce fut d’ailleurs le cas récemment.

S’ensuit pour le président déchu ATT une période d’exil de sept années, au Sénégal. Mais à son retour au Mali, il est acclamé. Finalement, quelle image, quel héritage, laisse-t-il au peuple malien ?

Je pense que les Maliens vont retenir quand même de lui un grand bâtisseur. C’est quelqu’un qui a à son actif des milliers de kilomètres de routes, à la fois, bitumées mais aussi des pistes rurales. Il y a aussi la construction de logements sociaux, beaucoup de ponts, beaucoup de barrages… Si on doit le comparer aux autres présidents, il a fait beaucoup plus de réalisations que la plupart d’entre eux.

Source: RFI

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