Inspecteur Général Ousmane SIDIBE, DNPCN : « Il faut qu’on aille vers le partenariat public-privé dans la transformation des déchets »

La gestion des dépôts de transit, les sachets plastiques au Mali, les défis et perspectives en cours pour Bamako, une ville coquette. Dans cet entretien, le directeur national de l’Assainissement et du Contrôle de la Pollution et des Nuisances (DNACPN), Ousmane SIDIBE, inspecteur général des eaux et forêt, nous parle de ces questions.

Bonjour, M. Sidibé, selon l’astrologue Moussa FOMBA, cette année, la gestion des dépôts de transit et finaux d’ordures engendrera des soulèvements populaires à Bamako. Que vous inspire une telle prévision ?

D’abord, en tant que musulman, je ne crois pas aux astrologues, seul Dieu connait demain. Mais seulement, c’est des constats. Je suis d’accord que l’intéressé a fait un très bon constat. Effectivement, si la tendance n’est renversée, ça pourrait aboutir à un soulèvement. Mais, ça n’arrivera pas. Pourquoi ? Parce que déjà à Bamako, les gens sont en train de comprendre qu’il faut un changement de comportement. Le problème des déchets au Mali, plus particulièrement à Bamako, c’est un problème de comportement. Imaginez, malgré le maigre investissement en infrastructure d’assainissement, à savoir les caniveaux et les collecteurs, sont utilisés par nos braves populations comme lieu de dépôt des déchets. Il suffit seulement qu’on change de comportement pour que ça ne se produise pas. Le second problème, c’est que l’État a créé une décharge finale à Noumoubougou. Et cette décharge n’est pas tellement fonctionnelle. Ce qui fait qu’il y a problème. Le problème, c’est qu’il y a un problème de dépôt de transit à Bamako. L’astrologue, je lui donne raison quelque part lorsque ces dépôts de transit n’arrivent pas à jouer pleinement leur rôle. Par ce que, les sites qui ont été identifiés ont été morcelés pour d’autres usages. Mais si et seulement si, les indices qui sont là, on arrive à concrétiser nos ambitions, alors, on ne va plus donner raison à l’astrologue.

Pouvez-vous nous faire l’état des lieux de l’assainissement dans le district de Bamako ?

Aujourd’hui, il y a très peu de décharges de transit à Bamako. Il y avait certains lieux qui ont été ciblés, malheureusement, ils ont changé de vocations et ont été morcelés. Mais, on est en train de créer d’autres sites. Notamment au bas de la colline vers Sikoroni. Mais ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est qu’il faut qu’on aille vers la transformation des déchets. Mais aussi faire en sorte que notre décharge finale soit opérationnelle.

Malgré quelques initiatives privées qui font tache d’huile à Bamako, la capitale peine à redevenir « Bamako ville coquette », quel est le vrai problème ?

Normalement, les déchets ne doivent pas dépasser 48 heures dans les dépôts de transit. Mais, il y a eu un moment, comme je l’ai dit, là où on devait amener les ordures, notamment à la décharge finale de Noumoubougou, cette décharge n’était encore très opérationnelle. On l’a ouverte à une société étrangère qui s’appelle Ozone, qui malheureusement travaille avec les opérateurs privés du Mali qui ont très mal utilisé cette décharge. La vérité, c’est ça. On dit aux gens que la décharge n’est pas disponible. Mais, en réalité, la décharge était disponible. Mais, ceux qui ont amené les ordures, au lieu de les mettre dans la cellule, ils déversaient ça à côté de la cellule. Et quand ils ont commencé à déverser à côté de la cellule, cela a créé un désagrément au niveau de la population s’est soulevé. D’abord, il y avait un premier cas, c’est qu’en amenant ces ordures, il y en a, au lieu d’amener jusqu’au site de Nounoubougou, ils déversaient en cours de route. Arrivé à Noumoubougou village même, ils commencent à déverser puis ils retournent. Deuxièmement, les déchets n’étaient pas couverts de bâches. Lors du transport, il y a beaucoup de déchets qui se déversaient dans le village. Cela a créé un problème environnemental avec la prolifération des mouches et des moustiques, d’odeurs nauséabondes, à Noumoubougou. Donc, on a déplacé le problème de mouches, de moustiques et d’odeurs nauséabondes de Bamako vers Noumoubougou. Donc, la jeunesse s’est rebellée pour dire que tant qu’on ne trouve pas de solution à ce qui été déversé, c’est-à-dire que soit mis dans la cellule qu’elle interdise de nouvelles charges. Aussi que ce qui été déversé à l’intérieur du village et qui créé des problèmes de santé soit ramené dans la cellule. Et Ozone s’est engagé avec la population pour respecter toutes ces doléances. Malheureusement, elle n’a pas pu. Parce que, qu’est-ce qui s’est passé ? Quand ils ont ramené les déchets qui étaient à côté de la cellule dans la cellule, cela a créé un déblai (un grand trou). Et la population a exigé à ce qu’on bouche ce trou. Parce qu’elle craignait que ce trou ne se transforme pas mare pendant l’hivernage. Donc, encore des problèmes de moustiques. Ensuite, quand on met les déchets dans la cellule, il arrive un moment où on doit mettre la terre là-dessus pour bien tasser. Malheureusement, cela aussi n’a pas été fait. Ce qui fait que sous l’effet des eaux de pluie, il y a un autre bassin à côté de la cellule où l’eau s’est infiltrée, donc, toutes les eaux de pluie qui tombaient dans la cellule étaient directement filtrées dans ce bassin, au point qu’il y a eu un débordement. Ce débordement a amené la pollution des puits, selon la jeunesse de Noumoubougou. Donc, la jeunesse s’est rebellée encore pour dire, si c’est ça, vous n’allez plus amener un seul chargement d’ordures ici tant qu’on ne trouve pas la solution à tous ces problèmes. Ce blocage a amené une stagnation des déchets à Bamako. C’est cette vérité qu’on n’arrive pas à dire à la population de Bamako. Sinon, si on avait utilisé la décharge de Noumoubougou de façon judicieuse, les problèmes n’allaient pas atteindre ce niveau. De toutes les façons, même s’il y avait une décharge, tant qu’on ne va pas vers la transformation des déchets, en six mois cette décharge sera débordée.

À la différence d’autres pays où les ordures constituent une richesse, au Mali et particulièrement à Bamako, elles posent un véritable problème d’assainissement et environnemental. Notre pays pourrait-il un jour renverser cette tendance ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?

On est là-dessus. Déjà, c’est des privés qui sont intéressés. Il y a une fondation qu’on appelle Katura, il y a une fondation qu’on appelle Strom. Ils sont tous venus, nous avons donné nos accords de principe. Il fallait que la DNACPN leur trouve un site. Katura a dit qu’elle a besoin seulement de 1ha à Noumoubougou pour installer leur unité de transformation des déchets pour non seulement produire du compost, mais aussi de l’énergie et du gaz. Et ce sont les résidus seulement qui vont être reversés dans la cellule. Strom est déjà là, ils sont en train de transformer les matières plastiques en gaine électrique, en particules plastiques. Donc déjà, beaucoup de gens sont intéressés. Mais seulement, pour cette année 2020, nous avons été butés à ce problème de Coronas (COVID-19). Ce qui fait que tous ceux qui sont venus, à leur retour au pays d’origine, ils ont été confinés. Donc, les projets ont pris du retard. Je pense qu’aujourd’hui, non seulement à l’extérieur, les gens sont intéressés, mais à l’intérieur même du pays. Certains opérateurs économiques sont intéressés avec leurs partenaires qui sont à l’étranger. Notamment, il y a l’entreprise SOGECOR qui est en train de faire venir des Allemands qui viendront voir les ordures au Mali. Ils ont déjà vu des échantillons, à notre dernière rencontre, ils nous ont fait savoir qu’ils se sont rendu compte que les ordures au Mali contiennent trop de poussière. Alors qu’ils ont des machines qui ne sont pas tellement d’adaptées à ce contexte. Ils ont programmé une autre visite de terrain pour venir voir quel type de machine il faut amener pour la transformation de nos déchets.

Déjà, non loin de Bamako, à Sanankoroba, il y a Bréhima NANTOUME. Le vendredi dernier, j’étais déjà là-bas avec mon ministre de l’environnement où on a vu qu’il est en train de faire des choses extraordinaires avec les moyens de bord. Les produits issus de ce traitement des déchets sont utilisés dans son périmètre maraicher, dans son verger, dans son jardin potager. Et je vous assure que c’est très beau à voir. Je lui ai automatiquement demandé à venir me voir. Parce que ça, c’est un Malien qui est déjà de dans. Les autres sont déjà en train de venir avec leurs idées, celui-là est déjà là-dans. L’unité de transformation est là. Ils ont produit du gaz. Non seulement ils vont produire du gaz, mais aussi du vinaigre et du compost. Ils vont également produire des briquettes pour la cuisine à travers les déchets mélangés avec un peu d’argile. Donc, il suffit seulement que l’État malien appui ce monsieur, l’encourage dans tout ce qu’il est train de faire pour que demain, on se débarrasse de 11 milles tonnes de déchets. À Bamako, c’est des milliers de tonnes par jour.

Donc, c’est une question de volonté politique maintenant. Et nous demandons aux autorités politiques de nous accompagner vers ces privés qui ont pris l’initiative d’eux-mêmes et qui sont en train de montrer des preuves qu’ils méritent d’être aidés.

Selon vous, quels sont les grands défis liés à l’Assainissement à Bamako ?

Là où nous sommes, la situation est inquiétante. Le défi, c’est d’aller vers le partenariat public/privé en matière de traitement des déchets. C’est-à-dire que le secteur soit ouvert aux privés. Le second défi, c’est de faire en sorte que l’État mette des moyens au compte des collectivités. Parce que c’est un secteur qui va bientôt être transféré aux collectivités. Il va falloir que l’État mette les moyens au compte des collectivités afin qu’elles jouent pleinement leur rôle dans le cadre du transfert des compétences de la gestion des ordures. Donc, non seulement on ouvre le secteur aux privés qui vont s’occuper du ramassage, de la collecte, du traitement et également de la transformation. Ça, c’est mon défi aujourd’hui. On est dans les déchets, mais aussi, on n’a pas cité les boues de vidange. Dans tout le Mali aujourd’hui, il n’y a pas une station de traitement de boues de vidange. Et notre défi aujourd’hui, c’est de créer ces stations de traitement de boue de vidange et les indices sont déjà bons. La Banque mondiale est déjà avec nous, un site a été identifié. Des études sont en cours pour aller créer des stations de traitement de boue de vidange non seulement sur la zone aéroportuaire, mais aussi à Tienfala. Entre-temps, la coopération allemande, à travers PIPA/GIZ, dans sa nouvelle phase, veut créer une station de traitement de boue de vidange à Samanko aussi là où on est en train de déverser ces boues de vidange, à l’air libre. Les défis qui s’offrent à nous aujourd’hui, c’est d’ouvrir le secteur aux privés très rapidement, et également créer des stations de traitement de boue de vidange.

Mais il faut surtout faire en sorte que nos braves populations changent de comportement à travers nos missions d’information et de sensibilisation. Sinon, si l’État met des milliards et que nous même on ne change pas de comportement, on continue à obstruer nos caniveaux, à déféquer à l’air libre que l’oncontinue à mettre nos déchets dans les caniveaux, à mettre les tuyaux de nos douches dans les collecteurs, tous les efforts de l’État vont être vains. Donc, notre défi aujourd’hui, c’est de faire en sorte que nos populations changent de comportement. Qu’elles prennent conscience que je dois assainir mon cadre de vie et après maintenant, l’Etat va suivre.

Au niveau des relations collectivités/État, très souvent, les responsables des collectivités se plaignent du problème de transfert des compétences en la matière. Aujourd’hui, où en sommes-nous à ce niveau ?

On’a pas tellement évolué. Le transfert a été effectif, mais on est en train de voir quels sont les ouvrages qui sont transférables. On a déjà fait le point avec la cellule d’appui à la décentralisation qui existe au niveau de chaque département. Et cette cellule a déjà élaboré le guide de transfert. Maintenant, on a identifié les investissements qu’on peut transférer. Une fois qu’on aura fini avec tout ça, en ce moment, on peut aller au transfert effectif. D’ici là, il y a de ces investissements que l’État peut directement passer aux collectivités. Notamment, le curage des caniveaux, des collecteurs, ça c’est des choses qu’on peut transférer automatiquement aux collectivités et mettre les moyens à leur disposition pour ça.

L’utilisation des plastiques est l’une des épineuses questions de la protection de l’environnement. Que dit la législation malienne sur les sachets plastiques au Mali ?

La loi a interdit l’importation des plastiques non biodégradables. Alors, l’État est en train de faire quelques efforts dans ce sens-là. Mais, réellement, il nous manque les instruments de vérification. Selon mes dernières informations, il parait que l’appareil doit coûter à peu près 20 millions F CFA l’unité.

Ce n’est quand même pas au-dessus des moyens de l’État ?

C’est ça que les gens disent très souvent. Mais l’État même n’inscrit pas ça dans ses priorités. Alors, ça ne se réalisera pas. Toutefois, la douane malienne est en train de faire des efforts, même si elle est limitée parce qu’elle ne peut contrôler que les étiquettes sur les emballages. Au-delà, elle ne peut rien. Mais aujourd’hui, il y a une prise de conscience. Parce que ceux-là qui importaient ces matières plastiques, c’est très souvent nos éleveurs. Ce sont nos opérateurs économiques qui ont des troupeaux. Donc, ç’a commencé à poser des problèmes là-bas, c’est pourquoi ils ont pris conscience d’eux-mêmes, parce que s’ils ne font pas attention, ils se créent eux-mêmes des problèmes. En tout cas, il y a une loi qui l’interdit et nous sommes en train de nous battre pour qu’elle soit appliquée. Mais de façon très timide, il faut dire la vérité.

Depuis votre nomination à nos jours, quel bilan pouvons-nous tirer ?

Ce qui a changé avec mon arrivée à la DNACPN, c’est le travail en équipe. Quand je suis venu, j’ai trouvé que mes prédécesseurs avaient bien travaillé. Ils avaient certains documents, notamment, la révision de notre loi, la révision de la politique nationale d’assainissement. En un an, avec cette équipe j’ai trouvé sur place, on s’est donné la main pour que ces deux textes soient bien révisés avec nos partenaires. Déjà, la loi 01-020 AN RM, relative aux pollutions et aux nuisances est déjà au secrétariat Général du Gouvernement, depuis avant les événements du mois d’août prêt à être adopté en Conseil des ministres. Même la politique nationale d’assainissement était presque finie depuis mars dernier. N’eût été l’affaire de Corona qui a porté un coût d’arrêt aux travaux. Mais le 2 novembre déjà, c’est à l’ordre du jour. On est arrivé à valider cette politique au niveau du Comité directeur technique. Et le lundi tout près, on est arrivé à valider au niveau du Conseil national de l’environnement. Maintenant, ce document est déjà validé sous réserve de la prise en compte des observations, pour suivre le reste du processus pour que courant premier trimestre ou le premier semestre 2021, les deux textes passent en Conseil des ministres. Mais nous osons espérer que la loi sur la Pollution passe avant la fin de l’année et que la politique nationale sur l’assainissement passe courant premier trimestre ou le premier semestre 2021. Donc, ça, c’est déjà un grand acquis pour nous.

Le deuxième acquis, c’est qu’on a beaucoup avancé dans le drainage des eaux pluviales de Bamako. C’est un projet dont les études ont démarré depuis 2017 et le processus tend vers la boucle. Parce que, la convention de financement est déjà élaborée et est à la signature au niveau de notre ministère de tutelle et du ministère des Affaires étrangères. Également, la convention séparée va suivre d’un moment à l’autre. Et le rapport du Plan d’action de réinstallation des populations est presque fini, ç’a été déposé cette semaine. C’est un projet qui va voir le jour, ça fait 20 millions d’Euros, courant 2021.

Ensuite, il y a l’activation du processus de transfert des compétences et des ressources aux collectivités. On est déjà arrivée au guide qui a déjà identifié les infrastructures transférables. Voilà ce qui s’est passé en 2020. Il y a également la construction du siège de la DNACPN, le marché a été déjà attribué. L’État va financer ce travail à hauteur de 2 milliards de FCFA dans la Cour de l’Agence nationale de la gestion des épurations à Sotuba. Également, nous sommes en négociations très avancées avec certains de nos partenaires pour pouvoir identifier des idées de projets dans le sens de poursuivre l’ATPC (Assainissement piloté par les communautés) à l’UNICEF.

Votre dernier mot ?

Je lance un appel à nos braves populations qu’ensemble, qu’on se donne la main. Et le défi majeur que moi j’ai, c’est le changement de comportement. Ce changement commence par l’individu d’abord, puis la famille, le quartier. Et une fois que tout cela est fait, en ce moment, l’État mettra moins d’argent dans le secteur de l’assainissement.

Propos recueillis par Abdoulaye OUATTARA

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