Cheick Oumar Sissoko : «Nous sommes décidés à écrire une page de l’histoire de notre pays»

Cheick Oumar Sissoko, membre du comité stratégique du M5-RFP,  s’exprime dans cette interview sur la mise en place de la transition. Aussi, il propose ses recettes face aux sanctions de la Cedeao

L’Essor : Quelle analyse faites-vous de la situation sociologique du pays, suite à la démission du président de la République le 18 août dernier ?
Cheick Oumar Sissoko :
Le président de la République a démissionné après avoir dissous l’Assemblée nationale. Donc, nous sommes dans un vide juridique et institutionnel. La souveraineté du peuple donne cette légitimité à l’Armée, considérée comme son aile militaire. Mais, j’ajouterai aussi une deuxième légitimité au M5-RFP qui a été l’expression politique de ce mouvement populaire pour engager la révolution citoyenne.

L’Essor : Des officiers supérieurs de l’Armée sont présents sur la scène politique depuis le 18 août dernier. Quelle appréciation faites-vous des actions qu’ils ont déjà entreprises ?
Cheick Oumar Sissoko :
Les officiers supérieurs ont parachevé la lutte du mouvement populaire sous la direction du M5-RFP. Leurs actions manquent, en réalité, d’intelligence de la situation. Ils sont légitimes, ils ne saisissent pas qu’il y a une autre légitimité, le M5 avec lequel ils doivent être pour entamer la deuxième étape de la lutte pour la révolution citoyenne, c’est-à-dire la transition.

Ils n’arrivent pas à comprendre que le peuple, dans son entièreté, à part ceux-là qui constituaient la base sociale du régime défunt, s’est mobilisé autour du M5 aussi bien à Bamako que dans la totalité du pays, jusque dans ses moindres recoins, mais aussi fortement dans la diaspora. Et c’est cette mobilisation du M5 et de l’aile militaire, donc de ces officiers, qui peut nous assurer la stabilité et la reconnaissance du Mali nouveau, en tout cas, par la communauté internationale et la Cedeao.

Il faut ajouter à cela que les dispositions prises dans la lutte contre le terrorisme sont à saluer. Parce qu’il y a longtemps que nous attendions que nos braves soldats qui montent sur le champ de la bataille pour sauver la patrie, puissent véritablement montrer leur courage, leur détermination et leur patriotisme.

Le troisième point que l’on peut dire, c’est le balbutiement dans les discussions avec la Cedeao. Malheureusement, ils n’ont pas compris que le M5 pouvait leur être d’un très grand apport dans la maîtrise des dossiers, puisque nous avons eu maille à partir avec cette même Cedeao. Et qu’aujourd’hui les sanctions qui sont entreprises peuvent être surmontées dans la conjonction de nos efforts, entre les deux entités, CNSP et M5, avec le soutien de notre peuple, de nos opérateurs économiques, de nos banques qui peuvent nous assurer les moyens de minimiser les effets des sanctions.

L’Essor : Les Maliens fondent beaucoup d’espoir sur la transition qui s’ouvre. Quelles doivent être son architecture, ses missions et sa durée ?

Cheick Oumar Sissoko : La transition ne s’est pas encore ouverte. Elle tarde à s’ouvrir à cause de ce que j’ai appelé le balbutiement du CNSP. Les deux légitimités pouvaient prendre toutes les dispositions pour mettre le Conseil national de transition, le gouvernement de transition et engager déjà les mesures conservatrices et celles prioritaires dont les besoins sociaux, et un pacte de stabilité.

Parce qu’aujourd’hui, il y a un bouillonnement social lié aux revendications légitimes des travailleurs avec le régime défunt qui avait complètement tourné le dos aux besoins de nos populations. C’est un gouvernement qui peut faire face à cela sous la supervision d’un Comité national de transition. Et, en même temps la préparation des concertations nationales souveraines qui vont pouvoir, à la lecture de l’état de la Nation, bien mesurer les problèmes qui se posent à notre pays, dégager les solutions de priorités et mettre en place une Assemblée de transition.

À mon avis, la transition, à cause de l’énormité des problèmes, doit aller à trois ans. Parce que le Mali de demain, le Mali nouveau, le Mali Koura a besoin que nous offrions une sortie institutionnelle basée sur l’assainissement dans l’administration civile et militaire, la lutte contre la corruption, la prévarication, la concussion avec les différents audits (audits des services publics, des entreprises, des différents codes dont le code minier). Nous devons faire cela pour assurer des ressources internes à notre pays.

C’est pour cela que la première chose que la transition devrait faire, c’est de réduire les charges de l’État. C’est pour cela qu’on parle de 15 à 20 ministères au lieu de 34 voire 40. Et quand vous savez qu’il faut libérer le pays qui est occupé au 2/3, installer l’administration et l’État.

Il faut assurer le fonctionnement de cette administration. Comment est-ce qu’on peut le faire si on ne mène pas une lutte ardue contre ceux qui occupent notre territoire ? Pour cela, il faut d’abord bien armer les Forces de défense et de sécurité sans oublier le travail de la nouvelle Constitution à faire (referendum), le code électoral, la liste électorale à revoir sur l’ensemble du territoire avec les 18 à 20 millions de Maliens qui sont là. Les règles du jeu politique, il faut cette refondation.

On veut nous pousser à le faire en un an ou deux ans. On veut nous demander de bricoler pour nous faire revenir à la case départ.

C’est-à-dire ceux-là qui ont amassé des fortunes colossales vont pouvoir venir prendre en otage nos élections, se repositionner pour diriger encore le pays, pour nous amener les mêmes souffrances. Nous ne voulons pas de cela. La communauté internationale doit comprendre que nous sommes décidés maintenant à écrire nous-mêmes une page de l’histoire de notre pays.

La partition que nous sommes en train de jouer aujourd’hui, c’est le destin de l’Afrique prospère qui est en jeu. En un an ou deux ans, ce serait illusoire de le faire. Il nous faut deux ans et demi voire trois ans. Parce que, trois ans vont nous amener au mois de septembre. Il faut éviter de rentrer dans la saison des pluies. Donc, il faut faire les élections au mois d’avril, pour qu’en mai, l’installation d’un nouveau régime soit une réalité. Ce n’est pas une tâche aisée.

Si nous arrivons à nous mettre ensemble (militaires et civils) pour discuter de la question, nous arriverons à trouver les meilleurs moyens. Je ne suis pas opposé à ce qu’un militaire dirige la transition. Mais, il faut qu’on nous prouve que ce militaire peut prendre en charge la gouvernance pour un nouveau Mali. Et, il y a en, ces militaires sont légion.

Le militaire, c’est un citoyen comme tout le monde, mais il n’est pas question de laisser les militaires occuper tout le gouvernement, toute la charpente, l’architecture du Comité national de transition. Il n’en est pas question. Tout comme il n’est pas question que le M5-RFP occupe toute l’architecture. Parce que, plus ou moins, les gens pensent que nous avons mené cette lutte pour nous positionner. Nous avons l’ambition pour le pays. C’est cela qui nous préoccupe.

L’Essor : En lieu et place des sanctions brandies par la Cedeao, que devrait faire cette organisation, comme indiqué dans votre récente lettre ouverte, pour juguler la crise malienne ?
Cheick Oumar Sissoko :
Les sanctions, c’est d’abord la fermeture des frontières. Cela ne nous dérangera pas plus que les autres. Nous apportons pour le Sénégal 1.250 milliards de Fcfa au port de Dakar par an. Beaucoup plus à la Côte d’Ivoire, au port d’Abidjan. Parce que nous achetons tout aussi dans ce pays (le carburant, le lait, les yaourts, la banane, l’avocat etc). Mais, il y aura une révolte si cela continue. Les gens ne doivent pas s’inquiéter par rapport à cela.

Le problème, c’est au niveau des banques, pour notre trésorerie. On nous ferme les banques, mais nous en avons ici qui sont dirigées par des Maliens. Alors, qu’on développe le patriotisme de ces banques, avec l’association des banques et des entreprises financières, on doit pouvoir trouver la solution pour que le versement de nos tarifs douaniers et des impôts puisse être effectué.

En réalité, il faut simplement voir au niveau du Patronat, de la Chambre de commerce, des opérateurs économiques, des bureaux de nos douanes et impôts, ainsi qu’au ministère des Finances, des solutions existent pour faire face à cela. Les Maliens seront donc prêts à soutenir l’effort. Tout cela est vraiment devenu le secret des dieux. On ne le saura absolument pas s’il n’y a pas une rencontre entre les deux légitimités.

Je n’ai aucune inquiétude, nous pouvons relever ces défis. Ce n’est pas la première fois que notre peuple se trouve confronté à de telles décisions. Et puis, nous savons que des pays ne veulent absolument pas engager l’embargo tels que le Sénégal, le Burkina-Faso. Nous n’avons aucun problème à passer par la Mauritanie qui ne fait pas partie de la Cedeao, l’Algérie non plus. Donc, nous avons des solutions que le peuple va pouvoir trouver. Le peule va pouvoir soutenir toutes les solutions proposées par ceux qui nous dirigent aujourd’hui.

L’Essor : Face à la situation, comme la voie semble tracée dans votre lettre ouverte, quelle posture doit adopter le peuple malien ?
Cheick Oumar Sissoko :
Le peuple malien doit se mobiliser, parce qu’il est en train de développer une révolution citoyenne pour mieux s’assurer un horizon politique, économique social et culturel. Ce qui va lui permettre de jouir de ses ressources humaines immenses, de ses potentialités énormes qui expliquent tout l’intérêt de la communauté internationale pour notre pays.

Nous avons un bel avenir devant nous. Nous avons simplement besoin d’assurer notre souveraineté et notre indépendance avec une République laïque, démocratique et souveraine.

Propos recueillis par Aboubacar TRAORÉ

Source: L’Essor 

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