SADOU A. YATTARA, ancien président de la maison de la presse: « La  presse malienne souffre le martyr… »

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Sadou A. Yattara journaliste, spécialiste en communication, Plaidoyer, Education aux médias et JsC (Journaliste sensible au Conflit, ancien directeur de la Maison de la Presse de 1999 à 2006. Actuellement, Coordinateur de l’Institut pour la Démocratie et l’Education aux Médias (IDEM).

« Mon passage à la tête de la Maison de la presse a coïncidé en partie avec le printemps de la presse malienne. C’était le moment où l’exercice du métier de journaliste avait un sens pour le journaliste et certainement pour les usagers des médias. Cela supposait une lourde responsabilité pour les associations des médias en premier, la Maison de la Presse qui, en sa qualité de Plateforme coiffant toutes les organisations et associations de médias dispose d’un large éventail de missions dont la défense de la liberté de presse, le respect de la confraternité et naturellement la professionnalisation des médias à travers la formation continue. Ainsi, en l’absence d’écoles labellisées de formation en journalisme, la Maison de la Presse s’est érigée en structure de formation polyvalente en direction de tous les acteurs de médias. Ces missions si importantes sont souvent synonymes de difficultés, surtout la levée des fonds pour les réaliser à la satisfaction du plus grand nombre. Il y a eu aussi des difficultés liées à la crise de croissance en rapport avec le management des associations, leurs ambitions allant jusqu’à contrarier l’unité de la corporation.

Les autorités et la presse sont deux pouvoirs où chacun veille jalousement sur son périmètre. Lorsque cela est compris et respecté, il y a rarement friction entre les deux. Evidemment, c’est une approche qui se cultive et nullement un pacte. Nous l’avons cultivée et nous avons été compris sur le fait que tout ce qui n’est pas lu, vu/montré et entendu n’existe pas. Donc, les autorités ont intérêt à se servir des médias professionnels nationaux en toute circonstance. Je me rappelle qu’en 2006 au lendemain de la signature de l’Accord d’Alger, le général Kafougouna Koné, ministre l’Administration territoriale est venu directement s’adresser à la presse à la Maison de la presse répondant ainsi à toutes les interrogations. Tout cela pour dire qu’il n’y a pas de tensions quand chacun reste dans son territoire. L’absence de tension ne signifie pas qu’il y a complicité, immunité quelconque ou qu’il y a des intouchables, mais que la démocratie d’exerce raisonnablement. Les pouvoirs publics gagneraient plus à collaborer avec les médias sans pression aucune. J’ai souvent rappelé que même le Mali socialisant a caressé la presse en publiant dans le Journal officiel de la République du Mali, n° 95 du 1er août 1961 que « …le journaliste malien est avant tout un patriote au service de l’Etat et des objectifs définis par la Constitution de la République ».

Le Mali a connu les trois dernières décennies de profondes mutations y compris sur le plan médiatique marqué par le recul du monopole d’Etat et l’explosion des médias, conventionnels comme nouveaux. Ainsi, le paysage médiatique malien est numériquement l’un des plus riches d’Afrique faisant ainsi du Mali un pays médiatiquement bien arrosé. Cela nous fait dire que le pays a gagné la bataille du nombre. Il lui reste à conquérir celle du professionnalisme liée à plusieurs contraintes comme la question des ressources humaines et financières, les problèmes organisationnels en termes de maturité pour adresser et traiter solidairement les questions de développement du secteur face à diverses adversités qui sont une menace permanente sur la pérennité des médias qu’elles fragilisent comme contrepouvoir et un recours des populations pour s’informer.

C’est un défi dans les conditions du Mali qui fait obligation aux journalistes de maitriser leur métier pour minimiser les excès contre eux, dont profitent certains milieux oubliant qu’aucune profession n’est pas à l’abri d’erreurs commises de bonne foi. Aujourd’hui la presse professionnelle souffre de l’émergence de nouveaux médias sans cadre légal d’exercice ni prescriptions éthiques et déontologiques affinées, mais fortement usitée.

Il est difficile d’évoquer l’état des lieux du paysage médiatique malien sans faire allusion aux doléances maintes fois exprimées par les journalistes quant à l’amélioration de leurs conditions de travail (salaires, accès à l’information, liberté presse, sécurités sociale et physique), les préoccupations des patrons des médias avec un environnement qui les étouffe sur fond de menace sur le pluralisme médiatique.

Pour un renouveau médiatique au Mali, je suis de ceux qui pensent qu’il faut organiser les 4èmes Journées Nationales de l’Information et de la Communication. Mais, en attendant, l’adoption de nouveaux textes inclusivement élaborés et déposés sur la table du Gouvernement reste la solution la plus attendue.

Pour beaucoup, la presse malienne souffre aujourd’hui le martyr à cause de multiples difficultés qu’elle vit. Je pense spécifiquement à la presse écrite qui souffre de la concurrence des nouveaux médias. Elle peine toujours à s’adapter en créant par exemple des versions web. Toute chose valable pour les radios avec moins de handicap à cause de la nature de ce média tout terrain.

Naturellement quand les organes médiatiques trébuchent, les journalistes font de même. Mais, je continue à croire que la spécialisation des médias, leur fusion en certains cas et le professionnalisme sont des pistes crédibles pour demeurer résilient.   

Selon un de nos textes de référence, la Déclaration de Windhoek (3 mai 1991) par presse indépendante doit s’entendre une presse sur laquelle le pouvoir public n’exerce ni emprise politique ou économique ni contrôle du matériel et des équipements nécessaires à sa production et à sa diffusion. Mais après plus de trois décennies, certains trouvent cette définition assez étroite car il existe plusieurs autres leviers politiques, pas seulement ceux manipulés par l’Etat. L’allusion est faite ici aux types de contrôle surtout économique et financier. Alors, pour renforcer l’indépendance économique, un nouveau modèle économique s’impose aux médias, mais qui n’est pas un prêt à porter, il faut le construire.

Une nouvelle génération de journalistes plus engagés ou plus libres, je ne pense qu’on en possède dans le contexte actuel. Ce n’est pas non plus évident d’en avoir si tôt. Je le dis car aujourd’hui, je ne suis pas certain que le professionnalisme soit la boussole la mieux utilisée. Je l’affirme par ce que ça fait quelques 30 ans que j’assure la formation continue des journalistes et plus intensivement depuis 20 ans à Bamako comme en régions. Le métier de journaliste est piraté.

Si je comprends par institutions de presse, vous parlez des entreprises de presse, des associations et autres structures relevant ou en charge des médias. Dans ce cas je leur conseille de militer pour le développement des médias car c’est la raison de leur existence.

Le développement des médias n’est pas une simple rhétorique, c’est la création et la mise en œuvre des conditions de leur épanouissement humain, matériel et financier.

Par ailleurs, il est toujours bon de rappeler que le journalisme n’est pas une sinécure, mais un sacerdoce. Les pirates n’ont pas de place dans ce métier.

Mariam Coulibaly

(Stagiaire)

Source : Mali Tribune

Last Updated on 03/05/2025 by Ousmane BALLO

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