Soixantième anniversaire de la création du franc malien

« L’abécédaire de l’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accommode toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie », dixit

A l’invitation de l’Association pour la Promotion des Idéaux des Pères des Indépendances Africaines (A.P.I P.I.A) à l’occasion du soixantième anniversaire de la création du franc malien, Gaoussou Diarrah, Docteur d’Etat en droit, Ancien consultant à l’Union Africaine, Professeur à l’Université de Bamako, a présenté une communication dans laquelle il a rappelé les conditions qui ont prévalu à la création de la monnaie malienne et les déboires que celle-ci a connus, qui ont fini par avoir raison d’elle, obligeant le retour du Mali dans la zone Franc. Il fustige ceux qui, avec des relents victimaires, s’acharnent à jeter l’opprobre sur les premiers dirigeants du Mali qui sont des leaders exemplaires n’ayant pas eu de relations douteuses avec l’argent, tout en jetant un éclairage sur les juridictions d’exception comme le Tribunal populaire qui a jugé ceux qui se sont opposés au franc malien en sollicitant l’intervention d’une ambassade étrangère.

Le 22 septembre 1960, l’amour de la patrie commandait les actes politiques et guidait dans le choix des orientations.  La frappe de la monnaie relevait d’un patriotisme inégalé, j’allais dire d’une audace inhumaine. Ce fut un acte de courage politique,  de fermeté morale, de dignité à tous égards, revalorisant l’homme malien, voire l’homme africain. Ce fut un grand acte de bonne foi dans un Mali naissant, le plus grand niveau dans la reconquête d’un honneur longtemps étouffé. Evidemment, dans la marche en avant d’un pays, d’une nation même, des divergences apparaissent entre les acteurs, l’histoire -universelle  en témoigne. Comme on le dit, il n’y a pas de pays de cocagne où les intérêts sont si monolithiques qu’il n’y a pas de heurts. Mais l’histoire finit toujours par montrer la  grandeur de ceux qui, avec sincérité et patriotisme, ont voulu réellement bâtir une vraie nation sourcilleuse sur son indépendance et sa souveraineté.  En créant le franc Malien, l’Us-RDA ne voulait pas d’une petite patrie.

Il y en a, malheureusement, ceux qui se piquent de raconter l’histoire, égrènent des contrevérités avec une hystérie victimaire et nous livrent un récit diablement faux- la contrefaçon- une version des évènements de 1962, que nous considérons comme une falsification de l’histoire. Nous insurgeons contre toute  falsification de l’histoire. Les brillants faussaires actuels essayent de tromper, de saper le moral de la conscience collective. Ils tentent de réécrire l’histoire en la mettant au service de leurs phobies.  Ils s’évertuent vainement de présenter le tribunal populaire comme une invention du diable, oubliant ou feignant d’ignorer la floraison des jurisprudences en la matière dans l’évolution du monde.  Tribunal populaire d’hier, oui,  la cour de Sureté de l’Etat ou la cour d’Assises Spéciale aujourd’hui, encore, encore.

Fily Dabo Sissoko et compagnons étaient hostiles à l’unité nationale et ils ont tenté de saboter une action essentielle, la création du franc malien. Des témoignages  du Président Félix Houphouët Boigny sur le comportement peu nationaliste de Fily Dabo Sissoko existent. Le 20 juillet 1962,  les manifestants opposés à la création du franc malien se transportèrent dans l’enceinte de l’ambassade de France au Mali,  brûlant le franc malien, l’autodafé du franc malien,  piétinèrent le drapeau du Mali et réclamèrent un coup d’Etat auprès de l’ambassadeur de France au Mali, son excellence Monsieur Wibaux. Le choix de ce lieu est hautement significatif, il faut en convenir. Par ailleurs, ils ont démarché la hiérarchie militaire malienne de l’époque. Il y a lieu de rappeler que la loi N° 62- 54 / AN-RM du 30 juin 1962 portant réforme monétaire en République du Mali stipule en son article 9 : « Toute infraction à la présente loi est considérée comme crime contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat »

Survol des juridictions d’exception

Des voix s’élèvent aujourd’hui,  au nom du droit, pour avancer que les accusés n’avaient pas d’avocats et que la juridiction était une juridiction d’exception : le tribunal populaire. Nous, nous dirons aujourd’hui, « Cour de sûreté de l’Etat », «  Cour d’Assises spéciales »,  selon l’air du temps. A cet effet, une réponse politique s’impose.   Une jurisprudence abondante et riche est éclairante à cet égard. Il y a une absence totale d’esprit historique  en la matière. L’histoire de l’humanité, face à ces situations similaires, n’a enregistré que des tribunaux d’exception.  C’est le tribunal populaire en son temps, selon l’air du temps ; aujourd’hui, c’est la cour  d’Assises spéciale. Exemple qui défraie l’actualité, le procès de Salah Abdeslam, les auteurs de l’attentat du 13 novembre 2015 au Bataclan à Paris.  Soit dit en passant, sous le régime du Général Moussa Traoré, il a existé la Cour de sûreté de l’Etat ; ceux qui détournaient au- delà de dix millions étaient jugés par cette cour.  Nul régime politique n’y échappe, nul ne peut affirmer qu’il n’en usera pas. Soixante ans après le tribunal populaire, avec la distance du temps,  c’est facile de faire des supputations, d’apprécier en invoquant qu’il n’avait pas d’avocats de la défense.  Quoique l’on puisse dire,  le tribunal populaire de 1962 n’a pas été un procès clandestin, il a été constitué de toutes les ramifications du parti ( 39 sous- sections et sections  de l’USRDA) et deux magistrats. Et il faut dire, c’était à deux des indépendances Africaines, dans un contexte de constitution de l’Etat, avec ses fragilités.  A cet effet, une réponse politique s’impose.

Les enseignements du parcours historique sont édifiants. En 1789, les tribunaux révolutionnaires ont été créés pour juger les collabos en France. En 1963, le Général De gaulle crée la cour de sûreté de l’Etat en France    , pays des droits de l’homme pour juger les putschistes d’Alger  en 1961, le Général Salan et ses compagnons ( De gaulle utilise pour la première  fois l’expression de quarteron d’officiers supérieurs).  La cour était constituée de  trois magistrats et de deux hauts gradés militaires.  Valery Giscard D’Estaing, au début de son septennat, a aussi créé la Cour de sûreté : François Mitterrand, au début de son septennat a supprimé ladite Cour de sûreté de l’Etat.  Les associations favorables au Maréchal Pétain ont réclamé la révision du procès en 1945 par la voie normale en invoquant l’illégalité, l’irrecevabilité de la démarche et l’incompétence de la Haute Cour de justice (une mise en cause totale de la Haute Cour de l’Etat).  Les associations de l’époque invoquaient, en effet, le non- respect de la loi pénale qui doit être assurée par le seul Ministère public. La mise en application des lois de Nuremberg est un exemple saisissant.

Nuremberg a été intenté par les puissances alliées  contre 24 des principaux responsables du troisième Reich. Le procès de Nuremberg a été voulu dans sa forme par les vainqueurs. Les accusés ont été condamnés pour des motifs politiques : crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l’humanité, exécutions en masse des Juifs dans les camps de concentration et de déportation.

Il faut certainement situer dans cette veine le procès du Général Moussa Traoré, procès qui, de l’avis de nombreux experts, n’a pas été un procès exemplaire parce qu’il y a eu un mauvais diagnostic juridique. On n’a jamais pu établir la preuve juridique à la lancinante question qui y a été posée : «  Qui  a donné l’ordre de tirer ? Qui a tiré ? » .  On ne le saura probablement jamais plus. La phrase de Maître Demba Diallo en la circonstance est encore restée dans les mémoires : «  La question la plus bête  posée dans ce procès  est «  Qui a donné l’ordre de tirer ? »

En conclusion, la condamnation du Général Moussa Traoré a été une condamnation politique, selon beaucoup de juristes, et qui aurait pu être un crime judiciaire.  Après coup, il y a unanimité dans le milieu juridique que le droit n’a pas été dit, qu’on est surtout sorti du prisme du droit. Quoique classique, juridiction normale, la matérialité des faits n’a pas été prouvée au terme du procès du Général Moussa Traoré. Ce fut un procès raté de nature à faire oublier la dictature de 23 ans de  GMT avec son cortège de terreur, de brimades, de confiscations des libertés individuelles et collectives et d’exactions exercées sur les populations. On peut aussi évoquer le procès de Mamadou Dia au Sénégal  en 1962, qui fut défendu par Me Abdoulaye Wade. L’histoire témoigne que ce ne fut pas un procès à la régulière, un procès politique donc, sous un Léopold Sédar Senghor, portant thuriféraire de la France.  Les exemples sont loin d’être épuisés. L’approche des tribunaux classiques s’accommode mal du jugement des infractions politiques, notamment d’atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat.

Modibo et ses compagnons étaient fascinés par le Mali avec un amour sacrificiel

Soixante ans après, avec le recul, avec une indicible hystérie, l’on tente d’exécuter l’US-RDA  en s’attaquant à elle  comme une bête sauvage, en servant  à l’opinion publique nationale une version réécrite des faits, qui ne s’appuie  que sur des contrevérités et des discours de haine.  Les champions du droit, les dépositaires du droit, Ponce Pilate du droit, les demi- dieux du droit, ces Moïse leur du droit, viennent nous donner la leçon  en travestissant la vérité historique. Et, malheureusement, des RDA font leur jeu et tentent de marquer contre leur propre camp au nom d’un juridisme qui ne peut faire école. Les responsables du RDA étaient incontestablement des patriotes d’un patriotisme vissé à leurs corps et âmes. En témoigne le retour à la zone franc, lorsque les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur ont saboté  vertigineusement les efforts, les dirigeants de l’USRDA ont mis le pays au- dessus de leur orgueil et ont demandé l’assistance de  la France.   Les dirigeants de l’USRDA étaient des leaders iconiques !   Nous sommes fiers du bilan de l’union Soudanaise RDA. Modibo et ses compagnons étaient fascinés par le Mali avec un amour sacrificiel.

Sur le parcours de l’Union Soudanaise RDA, nous retenons ceci : qu’il ait eu des erreurs,  c’est un fait, c’est sacrément humain.  Qui n’en fait pas ? Et les erreurs sont nourrissantes !  Au total, avec la distance du temps, la grande majorité des Maliens (la mémoire collective) composent un très bel hommage, considérant que les dirigeants de l’Union Soudanaise RDA,  sans rien évacuer de leurs erreurs et de leurs fautes, ont mérité de la patrie. Ils ont été les pionniers de l’indépendance.  Ils ont jeté les fondements de l’édification d’un Etat moderne : le Mali. Et, l’histoire, en guise de reconnaissance, s’est chargée de les  ressusciter comme Lazare. Et de la manière la plus élégante du monde. Des dirigeants qui ont été des exemples de droiture, d’intelligence et d’ardeur ; c’étaient des leaders iconiques, dois-je le répéter.  Ils sont notre vanité nationale, ils ont été sans rapport ambigu à l’argent, ils sont un hymne à la gloire du génie malien ! Le 19 novembre 1968, le régime de l’USRDA a vécu. Et les Maliens ont souffert comme une damnée près d’un quart de siècle,  aussi long que terne. L’épopée US-RDA a été bénéfique et lumineux pour le Malien. L’USRDA a souvent donné le ton, proposé et réalisé des projets de développement, forcer des blocages pour faire naître le Mali. Presque plus d’un demi- siècle après le régime de l’US-RDA, nous ne regrettons rien et nous ne renions rien. Avec le débat actuel, l’histoire retient  que la vision de l’US-RDA n’a pas pris une ride (rien n’a jauni). La frappe de la monnaie et le retour dans la zone franc sont pleins d’enseignements. La République du Mali, soucieuse de renforcer son indépendance politique et d’assurer son développement économique harmonieux, crée, pour compter du 1er juillet 1962, sa monnaie ayant, désormais seul, cours légal et pouvoir libératoire sur toute l’étendue du territoire (art.1, Loi N° 62- 54 / AN -RM DU 30 JUIN 1962 portant réforme monétaire en République du Mali).L’abécédaire de l’histoire nous enseigne que le pouvoir politique s’accommode toujours et nécessairement du droit régalien de battre monnaie, que le pouvoir monétaire est inséparable de la souveraineté nationale,  qu’il en est le complément indispensable, l’attribut essentiel. Ainsi, le franc malien a été un des attributs essentiels de la souveraineté nationale et internationale.

En matière monétaire, le RDA avait fait le choix de l’avenir que confirment les fortes velléités qui se manifestent aujourd’hui pour la création d’une monnaie africaine, comme l’avait préconisé le 6ème Congrès de L’USRDA en 1962

Sur ces entrefaites, à l’épreuve des faits, l’Union Soudanaise RDA s’est heurtée à la dure réalité du terrain économique. La masse monétaire n’a cessé de gonfler sans qu’il ait un accroissement correspond  de la production. De 1962 à 1967, durant cinq ans, la masse monétaire a été multipliée par deux. On  relève une détérioration continue et croissante des avoirs extérieurs du Mali au cours de la période considérée. Le déficit moyen, durant cette période, se situait aux environs de deux milliards.  Le déficit était toujours bouclé par des avances de trésorerie ou par des subventions accordées aux sociétés et entreprises d’Etat qui tournaient « littéralement à vide »  (Il reste de nos jours que la bonne gestion d’une entreprise n’est l’apanage d’aucun concept ou régime économique et juridique).  Toutes choses qui ont fini par faire perdre la bataille du franc malien au régime de l’US-RDA.  Le Mali s’est vu contraint à une forte dévaluation. Et De Gaulle, homme d’Etat, honnête homme, impartial, dira plus tard à Monsieur Foccart, Monsieur Afrique de l’Elysée, que «  malgré nos divergences avec les Maliens, vous avez été trop sévère »  ( Mémoire de Jacques Foccart ». On ne pouvait mettre plus cruellement les points sur les i !

A  propos de la réintégration du Mali dans l’Union Monétaire Ouest- Africaine, les adversaires, les cassandre de l’Union Soudanaise RDA, jubilent et crient victoire dans un tract, oublieux que les effets pervers inattendus se multiplient et dénaturent les actes posés.  Lesdits «  effets pervers inattendus » ne sont pas les fruits du hasard.  C’étaient un faisceau d’actions, d’activités concrètes soutenues et accompagnées qui ont contribué à affaiblir la monnaie nationale, désorganiser les circuits de production et de commercialisation, et ébranler la détermination du peuple et créant chez lui le scepticisme sur la justesse de l’option socialiste de développement. En tout état de cause, il nous semble difficile de se dire patriote et de se réjouir de l’échec de l’expérience d’indépendance économique à travers la création du franc malien, surtout après avoir vu comment ce qui a été détruit avec le Franc CFA et ce qui a été construit avec le Franc malien. En matière monétaire, le RDA avait fait le choix de l’avenir que confirment les fortes velléités qui se manifestent aujourd’hui pour la création d’une monnaie africaine, comme l’avait préconisé le 6ème Congrès de L’USRDA en 1962. A cet effet, l’Union Soudanaise RDA a eu tort d’avoir raison trop tôt. Ni les uns sans les autres, et contre personne. Posons-nous la difficile question : le Franc CFA sera-t-il durablement arrimé à l’EURO ? That’ is the question.

Toutes proportions gardées, il n’est pour nous de belle image que le passage de l’US-RDA aux responsabilités.  Leurs actions furent un roman. Et ce roman a changé le Mali et par là même marqué notre destin.

Gaoussou  Diarrah

Docteur d’Etat en droit.

​​Ancien consultant à L’Union Africaine.

Professeur à l’Université de Bamako.

Source : Le National