Le 18 août 2020, la prise du pouvoir par l’armée a été saluée par le Maliens avec enthousiasme et espoir. L’enthousiasme pour la fin du régime de IBK et l’espoir de la justice sociale qui constitue le socle de la vie en société. Le départ a été chaotique parce que déci delà les invectives, les oukases entre autres menaces d’embargo ont fusé contre la junte et contre le Mali, y compris de la part d’autocrates patibulaires en Afrique et de pompiers pyromanes hors d’Afrique. Mais beaucoup de Maliens et d’Africains ont apporté leur soutien au nouveau régime tellement le système IBK était vermoulu dans sa substance même. Six mois après le changement de régime, et avec des décennies de gestions calamiteuses des administrations publiques, il serait malvenu de jeter l’opprobre sur le gouvernement de transition en place. Même s’il disposait d’une baguette magique, il lui aurait été impossible de tout remettre à l’endroit en un semestre.
Ceci étant, certains signes inquiètent dans la résolution des problèmes prioritaires. L’insécurité demeure ; des silences sur des actes criminels du système défunt interrogent, notamment l’assassinat du journaliste du « Sphinx » attribué à Karim Keïta et l’ancien patron de la Sécurité d’État Diawara; enfin la justice sociale joue l’arlésienne dans bien de domaines.
Les essais pour renouer le dialogue entre les différentes couches de notre société, instrumentalisées pour en faire des entités antagonistes, sont à saluer. Il est vrai que le chemin est tortueux et on se perd parfois dans les méandres passionnels exacerbés par des jusqu’au-boutistes des camps opposés, par exemple entre Peuhl et Dogon. L’explosion récente des violences sanguinaires entre les deux communautés demeure énigmatique, un parfum de manipulation plane sur la situation. L’évidence est qu’il est infiniment plus aisé de démolir que de construire ou reconstruire surtout lorsque des forces occultes sont à la manœuvre pour attiser les tensions afin d’atteindre des objectifs fumeux.
Le Mali n’est plus le seul pays visé par les massacres de villageois, nos frères du Burkina Faso et du Niger paient aussi un très lourd tribut à ces assassins terroristes qui jaillissent, massacrent et s’évanouissent tout aussi furtivement au nez et à la barbe de toutes ces forces militaires présentes au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Du reste, le Mali constitue la base arrière de ces criminels.
Beaucoup de zones d’ombre entourent ce problème sécuritaire et dépassent le cadre du seul Mali. On en reparlera, les dés sont pipés comme dirait l’autre. Faudrait-il demander des « conseils » à la Mauritanie qui, comme par enchantement, est le seul pays du G5-Sahel épargné par les terroristes ?
Si on peut comprendre l’incapacité de juguler le problème de l’insécurité en si peu de temps avec un ennemi insaisissable, il n’en est pas de même pour les criminels identifiés.
Les Maliens sont quasiment unanimes pour désigner Karim Keïta comme le commanditaire de l’assassinat de Bourema Touré, le journaliste du « Sphinx », et Diawara comme le chef des exécutants. Ces deux hommes, après avoir pillé et assassiné, coulent des jours heureux en Côte d’Ivoire pour Karim Keïta et en Gambie pour Moussa Diawara. La famille et les proches de Bourema Touré n’ont pas cette chance, lui est parti pour toujours de façon abominable, sous la torture. A ma connaissance, il n’y a pas eu de mandat d’arrêt international lancé contre eux pour les crimes de sang et économique. La famille et les proches du journaliste souffrent en silence, les assassins font bombance avec les milliards dérobés aux Maliens. Première entorse à la notion de justice sociale.
Les hommes au pouvoir actuellement feront partie de la cohorte des fossoyeurs du Mali s’ils ne prennent pas à bras le corps ce serpent de mer qu’est l’injustice sociale. Déjà certaines personnes les soupçonnent de vouloir s’en mettre plein les poches comme c’est devenu la coutume au Mali.Si vous accédez à des postes à responsabilité et que vous « oubliez » d’entasser des millions, votre famille et vos proches seront les premiers à vous traiter de maudit personnage.
A cela, les contre-exemples abondent. Quand Fidel Castro est arrivé au pourvoir à Cuba en 1958, il a commencé ses nationalisations par son propre domaine familial avant de s’en prendre aux domaines des autres bourgeois du système de Batista. Balayer d’abord devant ses portes.
Selon la même logique, les militaires qui dirigent le système actuel doivent d’abord s’intéresser à ces généraux et colonels devenus milliardaires selon beaucoup de citoyens maliens.S’agit-il de ces personnes qui spolient les jeunes soldats aux fronts au péril de leur vie ou qui détournent les fonds destinés à la Défense nationale ? Peu importe. Il est incontournable que l’armée soit débarrassée de ces individus qui entachent son image.
Ces impunités sont encouragées par la situation qui prévaut aux ministères de la justice et de la sécurité.
Certains juges, par exemple à la cour d’appel de Bamako, ont construit un corps de justice parallèle où l’argent règne en sésame. Celui qui paie gagne. La victime qui ne paie pas perd. Cette cour d’appel, comme toutes les cours qui lui ressemblent, doit être démantelée purement et simplement. Il est illusoire de vouloir lutter contre l’injustice lorsque les instances dédiées à la justice sont le cadre de l’hyper corruption. Les juges maliens ont hurlé d’indignation lorsque l’ancien ambassadeur d’Allemagne au Mali, Dietrich Becker, a évoqué les dérives de la justice malienne en ces termes : » Je n’encouragerais pas un Allemand à investir au Mali vu l’état de corruption de la justice ». Il avait parfaitement raison. Les exemples foisonnent et valident ses propos.
De bons pères de famille vautrés dans une scélératesse pestilentielle. Ces gens-là et la justice forment un mauvais aloi. Oui de bons pères de famille respectés, mais dans la fange, dans le bouge de la morale non pas religieuse mais simplement humaine. Propre à l’extérieur mais d’une saleté insoutenable à l’intérieur.
Vous ne vaudrez pas tripette si vous ne réconciliez pas les Maliens avec la justice, avec le patriotisme politique. Tout est prioritaire pour un pays comme le Mali, mais dans l’ordonnancement les volets évoqués ici, avec l’Éducation, sont très urgents. Les Maliens observent. Ils méritent une excellente année 2021.
Yamadou Traoré, Analyste Politique
Source : L’Aube