Commune de Kalabancoro : le village de Gouana envahi par les eaux usées des boues de vidange de la zone aéroportuaire

Situé à quelques encablures de Bamako dans la Commune de Kalabancoro, cercle de Kati, le village de Gouana, derrière l’Aéroport International président Modibo Keita, vit dans la merdre. Le 8 mars 2021, au cours d’une visite sur les lieux, les habitants du village, meurtris, estiment qu’ils comptent passer à l’offensive en vue d’interdire définitivement le déversement des boues de vidange dans la zone aéroportuaire qui sont, par la suite, transportées dans le village par les eaux de pluie pendant l’hivernage. 

A longueur de la journée, les camions spiros transportant des boues de vidange de la ville de Bamako et environnant viennent se décharger en plein air dans la zone aéroportuaire président Modibo Keita. «Par jour, environ 160 déchargements de boues vidange sont effectués ici », nous confie l’un des chauffeurs des camions.

Ainsi, sur cet espace non aménagé pour la circonstance, les camions se débarrassent de leurs contenus de manière anarchique. Non traitées, ni protégées, ces boues sont, par la suite, transportées par les eaux de pluie à travers un marigot jusqu’au village de Gouana, en passant par les champs des habitants de la localité. «A Gouana, tout est pollué. Les légumes, les puits, tout est aujourd’hui contaminé par les boues de vidange. Même nos arbres fruitiers sont en train de sécher à causes des vapeurs que ces boues dégagent », témoigne Bassi Traoré, un vieux âgé de plus de soixante (60) ans et dont le champ se trouve également menacé par les effets néfastes de ces boues.

Sur le champ du vieux Bassi, les traces des boues sont encore visibles. «Mon champ mesure plus de cinq hectares. Au paravent, je pouvais y gagner à peu près cinq tonnes en mille. Mais aujourd’hui, à peine j’ai deux sacs. Parce que pendant la période de l’hivernage, les vapeurs des boues tuent les germes »,précise-t-il. Sur le champ de Vieux Konaté et de celui de Moussa Dembélé, c’est le même constat. «Ici tout est contaminé par les boues de vidange. On ne peut même pas faire nos ablutions avec cette eau à cause de sa pollution. Nos maraichages ne donnent plus, les légumes et les arbres meurent par la détérioration de la nappe terrestre due aux vapeurs que les boues dégagent »,ajoute Moussa Dembélé

Une atteinte aux droits de l’homme !

A l’issue de son enquête réalisée du 18 au 29 novembre 2019 sur la question, WaterAid-Mali estime que ces pratiques de gestion des boues de vidange qui impactent la vie des communautés tant du point de vue environnemental, économique et sanitaire sont contraires à notre loi fondamentale (article15) et au droit international des doits de l’homme Déclaration Universelle des Droits de l’Homme etc. «La protection, la défense de l’environnement et la promotion de la qualité de la vie est un devoir pour tous et pour l’Etat » et l’art 17 « l’éducation, l’instruction, la formation, le logement, les loisirs, la santé et la protection sociale sont des droits reconnus’’», précise WaterAid-Mali.

L’enquête révèle également que les vidangeurs déversent 438 000 litres de boues par an au niveau de cette décharge. «Les boues de vidange déversées de façon non contrôlée dans l’environnement suite au manque de systèmes d’élimination adéquats liés à la mauvaise gestion polluent les eaux de surface et les eaux souterraines, les sols, l’air, détruisent l’équilibre des écosystèmes et causent des maladies hydriques aux populations »,peut-on lire dans le document.

Une mobilisation contre la pratique

 Aujourd’hui à Gouana, tous les puits, principales sources d’approvisionnement d’eau pour les habitants, sont aussi contaminés par les eaux usées des boues de vidange transportées par les eaux de pluie. Face à cette situation les populations ne comptent plus restées les bras croisés. Les jeunes, femmes, notables et les autorités administratives locales, sont tous engagés à la recherche de solution à cette pratique au plus rapidement possible. Marie Madeleine Théra, une riveraine du marigot : « Il faut trouver une solution rapidement à cette situation. Parce que nous sommes dérangés par les odeurs de ces boues. A cause de cette odeur, nous sommes souvent obligés de rester au fond de nos chambres. »

Alassane Diamouténé, au nom de la Jeunesse du village, a rappelé que depuis 2014, les populations de Gouana lutte contre cette pratique qui nuit à la santé humaine et dégrade l’environnement. «La jeunesse de Gouana exige l’arrêt de cette pratique. Si nos actions pacifiques n’aboutissent pas, nous seront obligés de déployer la force. Tout ce que nous demandons aux autorités, c’est d’arrêter le déversement anarchique des boues de vidange sur cette zone. A défaut, il faut aménager le site avec toutes les normes internationales requises afin de préserver la santé des populations », souligne-t-il.

Quant au maire de Gouana, Seydou Diarra, les autorités locales accompagneront les populations à la recherche de solutions à ce fléau. «Les jeunes sont désormais mobilisés pour mettre fin à cette pratique et nous allons les accompagner dans cette dynamique », ajoute-t-il. Selon Dr. Ramatou Coulibaly Sidibé, Sage-femme au Centre de Santé Communautaire de Gouana, sur le plan sanitaire, les enfants et les femmes enceintes sont les plus exposés aux maladies liées à cette pratique, particulièrement le paludisme, la diarrhée, ainsi que des maladies respiratoires. «Pendant l’hivernage, le village se trouve envahi par les eaux usées de ces boues. Ce qui fait que le taux de fréquentation du Centre de Santé devient très élevé. La majeure partie de ces patients sont des femmes enceintes et des enfants dont les 90% souffrent du paludisme »,précise-t-elle.

Des solutions en cours !

Au nom du syndicat des vidangeurs, Samou Samaké a rappelé qu’il y a plus de 10 ans aujourd’hui que l’on parle de ce site. «Ecoutez, le gouvernement malien n’en a pas fait une préoccupation. Au Sénégal tout près, il y a 10 décharges de boues de vidange bien aménagées», souligne-t-il. Selon lui, le site de la zone aéroportuaire, est provisoire en attendant de trouver une décharge appropriée.

«Le site de la zone aéroportuaire est provisoire. Nous l’avons obtenu à l’issue de plus d’un mois de grève en 2008. Depuis, le Gouvernement n’arrive pas à nous trouver un site permanent. La population du Village de Gouana s’est effectivement plainte de la situation du site et nous avons fait des aménagements. Mais malgré tout ce que l’on a pu faire, l’eau a encore débordé pendant l’hivernage. Là encore, c’est nous-mêmes qui prenons en charge ces aménagements. Même cette année, nous allons encore dépenser plus de cinq millions de francs CFA pour essayer toujours de maintenir les boues et les eaux usées sur place », précise-t-il, avant d’ajouter que la solution durable sera l’aménagement du site par le Gouvernement aux normes internationales ou alors l’octroi d’un autre un peu distancé des populations.

Quant à Séréma Kanouté, responsable de la cellule de la communication de l’Agence nationale de gestion des stations d’épuration du Mali (ANGESEM), des études sont en cours pour l’aménagement du site sur financement de la banque mondiale. «Une fois aménagé, les boues seront traitées sur place et il n’y aura plus d’écoulement des eaux usées », précise-t-il.

En tout cas, les autorités nationales sont fortement interpellées afin de trouver une solution adéquate rapide et durable à cette situation qui nuit suffisamment à la santé des populations dudit village et dégrade profondement leur environnement.

Ousmane BALLO / Afrikinfos-Mali