Après les premières nominations de Biden, le 3e mandat d’Obama vient de commencer

Une femme pour coordonner les services de renseignement, un Latino juif d’origine cubaine pour diriger la sécurité intérieure, une femme nommée au Trésor, pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis : Avril Haines, Alejandro Mayorkas et Janet Yellen ne seront sans doute pas les seuls à incarner une différence par rapport à la quasi-uniformité du cabinet Trump. Féminiser, diversifier, peut-être aussi rajeunir, c’est-à-dire disposer d’un gouvernement qui ressemble à la société d’un pur point de vue démographique, voilà qui nous rappelle ce qu’avait voulu inaugurer Barack Obama en arrivant au pouvoir il y a douze ans.

Mais Joe Biden a compris également que 73,8 millions d’Américains ont voté pour son adversaire, un homme qu’il a dénigré pour être à la fois incompétent, sectaire et désinvolte. Pour tenir sa promesse de restauration de la dignité de la fonction présidentielle, le président-élu est donc en train de mettre en place une équipe compétente, tolérante et soucieuse de dignité. Et si la compétence tient d’abord à l’expérience, voici donc, à ce stade, des revenants de l’ère Obama.

Des “serviteurs de l’Etat”

Antony Blinken, nouveau secrétaire d’Etat, était le N°2 de John Kerry. Ce dernier se voit confier les rênes du retour des Etats-Unis dans les négociations climatiques. Jake Sullivan, en tant que Conseiller à la sécurité nationale, était l’un des piliers de l’équipe d’Hillary Clinton et personnage-clef du dossier nucléaire iranien. Avril Haines faisait partie de l’équipe de sécurité nationale d’Obama à la Maison Blanche, première femme à devenir N°2 de la CIA. L’afro-américaine Linda Thomas-Greenfield pour représenter Washington aux Nations Unies a été en charge des affaires africaines au Département d’Etat au début du mandat d’Obama.

Pour la tolérance, nul peut dire, si l’on s’en tient à cette première liste incomplète, que les titulaires soient des sectaires radicaux. Ce sont pour la plupart des “serviteurs de l’Etat”, certes tous démocrates, mais avec suffisamment de bagages pour comprendre que les questions de sécurité nationale doivent être, dans la mesure du possible, des questions qui fassent consensus. A la fois à l’intérieur du parti démocrate mais également au Congrès vis-à-vis des Républicains, si tant est qu’ils gardent le Sénat après les élections du 5 janvier en Géorgie.

Naturellement, les progressistes dans le parti commencent à faire entendre leur voix sur cette forme de copier-coller, de continuité entre la fin du mandat d’Obama et le début à venir de celui de Biden. Quid du soutien de ces professionnels de la diplomatie et de la sécurité à la guerre en Irak, au “surge” en Afghanistan, à l’aide apportée aux Européens pour leur intervention en Libye, à la présence même de troupes américaines en Syrie ou à leur soutien logistique et de renseignement à la coalition arabe dans la guerre au Yémen? Biden a choisi des professionnels dont il juge la loyauté suffisamment forte pour les faire adopter un changement de conduite s’il le jugeait utile et conforme aux intérêts du pays.

Joe Biden veut s’attaquer d’abord en effet à la pandémie et ses conséquences économiques et sociales

A l’évidence, aussi, les noms des ministres du Travail, de la Santé, de l’Education, de l’Environnement seront bien plus scrutés que les précédents. Car les progressistes, dans la campagne Biden comme au Congrès depuis 2018, sont bien déterminés à prioriser les questions du New Green Deal, de l’augmentation du salaire minimum, ou du renforcement de l’assurance santé.

Biden, lui, sait bien qu’il doit donner des gages à cette aile gauche du parti, bien qu’il ne soit pas totalement à l’unisson de ses revendications. S’il accepte de travailler avec des porteurs de ces thématiques fortes, ce ne sera pas forcément pour mettre en œuvre tout de suite et en totalité ces réformes. Car il semble que ses priorités ne soient pas les mêmes et que le chemin pour y parvenir soit des plus escarpés.

Joe Biden veut s’attaquer d’abord en effet à la pandémie et ses conséquences économiques et sociales. Tant que cette crise majeure ne sera pas réglée et que l’économie ne s’en relèvera pas, il n’est pas certain qu’il se lance à corps perdu dans la réforme pour le seul plaisir de réformer. De ce point de vue, le souvenir du premier mandat d’Obama est cuisant. Certes, Obama s’est attaqué d’abord, lui aussi, à la crise financière en 2009 et au sauvetage de l’industrie automobile et du secteur bancaire, mais il a lancé sur un deuxième front la réforme qui lui paraissait prioritaire, celle de l’assurance santé obligatoire.

Il y est parvenu, non sans mal, et avec beaucoup de compromis par rapport au projet initial. Mais le prix à payer est énorme. Non seulement, il a perdu les élections de mi-mandat de 2010 mais il n’a jamais retrouvé de majorité jusqu’à la fin du deuxième mandat. Sa réforme a même cristallisé tant d’adversité qu’elle a contribué grandement à l’essor du Tea Party et, in fine, à l’élection de Donald Trump.

Donald Trump ne sera jamais loin

A quoi servirait donc d’entamer un troisième mandat d’Obama sans pouvoir le mener à son terme. Si les sénatoriales de Géorgie donnent la victoire aux Républicains, aucune des réformes souhaitées par les progressistes ne sera validée en l’état au Congrès. Il faudra, au cas où elles seraient initiées, en limiter l’ampleur ou en différer l’application. En admettant, de surcroit, que Joe Biden ne fasse qu’un seul mandat, comment prendre le risque de voir sa vice-présidente, Kamala Harris, échouer à lui succéder, éteignant ainsi pour la deuxième fois la perspective de voir une femme accéder à la fonction présidentielle pour la première fois?

Le troisième mandat d’Obama ne sera donc pas si simple. Si Barack Obama lui-même n’a pas renoncé à influer sur le cours des choses, avec le succès que l’on a observé dans la mobilisation du 3 novembre, Donald Trump également ne sera jamais loin. Pas forcément candidat en 2024, mais avec l’envie immodérée de garder la main sur l’avenir de la droite américaine via ses adoubements ou ses campagnes de dénigrement contre les élus républicains de l’establishment qui seraient tentés de pactiser avec l’administration Biden.

Bref, s’opposer est parfois assez simple, surtout lorsqu’on n’a pas d’alternative non-populiste à proposer. Gouverner est plus dur. Plus exigeant. Surtout si, comme l’a promis Joe Biden, l’idée n’est pas de gouverner par ego mais pour les autres, tous les autres. Personne n’est naïf ou angélique. Mais si une très grande majorité d’Américains, près de 80 millions, ont voté pour le retour de la décence, il serait peut-être utile de réfléchir à la façon dont on peut à la fois servir l’intérêt général, rester écouté et respecté dans le monde, reconstruire ce qui doit l’être, tout en restant modeste. Biden a promis qu’il serait un président de transition. Ne faudrait-il donc pas le prendre au mot et attendre un peu que la stabilité revienne pour devenir plus ambitieux? Ou cette transition promise n’est-elle pas en soi déjà une grande ambition?

Après avoir suivi la campagne présidentielle 2016 avec Bureau Ovale saison 3, ce nouveau blog de François Clemenceau a pour objectif d’analyser tous les aspects de la présidence Trump : politique, économique, diplomatique, ce qui sous-entend naturellement le débat et les actions de l’opposition démocrate.

Source: https://www.lejdd.fr/

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