Nous vivons désormais dans un monde dans lequel celui qui contrôle les algorithmes contrôle le récit. Celui qui contrôle le récit contrôle l’opinion publique. Et celui qui contrôle l’opinion publique détient le pouvoir politique. Un monde dans lequel les manipulations médiatiques sont devenues une redoutable arme de guerre.
Flash-back. En décembre 1989, l’image de cadavres nus, alignés dans la boue d’un cimetière de Timisoara, en Roumanie, prétendument exhumés du « faux charnier » de cette ville tristement célèbre, provoqua un emballement médiatique ayant abouti à l’arrestation et l’exécution du président Nicolae Ceausescu et son épouse. Et c’est après ce tragique évènement que les Roumains ont compris avoir été victime d’une des toutes premières campagnes de grande échelle de déstabilisation médiatique.
La manipulation (par production, rétention ou déformation) est aussi vieille que l’information, c’est-à-dire que la vie en société, puisqu’elle lui est consubstantielle. Elle est partie prenante des ruses de guerre, qui ont toujours existé. Il nous semble préférable, car plus inclusif, d’utiliser le terme générique de « manipulation » qui est délibérée (elle suppose l’intention de nuire) et clandestine (ses victimes en sont inconscientes). Ici, nous nous intéressons aux manipulations de l’information cumulant trois critères : une campagne coordonnée, de diffusion de nouvelles fausses ou sciemment déformées, avec l’intention politique de nuire.
Avec la viralité des TIC, ce sont désormais les algorithmes qui déterminent quels messages, donc quelles informations apparaissent dans le flux d’actualités des utilisateurs de réseaux sociaux. Il ne faut pas longtemps pour façonner l’opinion publique à l’aide de ces algorithmes ciblés. Et une fois que le mal est fait, il peut être extrêmement difficile, voire impossible, de revenir en arrière, avec des conséquences potentiellement catastrophiques pour les pays ciblés par exemple.
Ces derniers temps, il y a eu un déferlement médiatique contre le Mali. Et tous les grands médias y sont allés de leurs commentaires sur une prochaine chute de Bamako. Cela ne va pas sans rappeler ce qui s’est passé en novembre 2021. A cette période, les mêmes médias avaient annoncés la chute de Addis Abeba. Selon eux, la capitale éthiopienne étaient dans la ligne de mire des rebelles du Tigré. Des informations qui ont provoqué le départ de nombreux diplomates et ressortissants étrangers. A l’arrivée, le lugubre scénario a fait chou blanc.
Ironie de l’histoire, c’est de cette pratique de guerre informationnelle dont se sert de nombreux groupes terroristes. En effet, les opportunités offertes par la sphère virtuelle pour mener des opérations de terreur avaient déjà été reconnues par Al-Qaïda. En 2005, Ayman al-Zawahiri déclarait : « Nous sommes dans une bataille, et plus de la moitié de cette bataille s’effectue dans les médias. Dans la bataille médiatique, nous luttons pour conquérir les cœurs et les esprits de notre Oumma (la communauté musulmane)». Dix ans plus tard, le Geneva Centre for Security Policy estimait que la campagne de Daech sur les médias sociaux lui avait permis d’attirer plus de 18 000 soldats étrangers, venant de plus de 90 pays.
Soyons conscients d’une chose, la désinformation exploite une paresse intellectuelle naturelle, qui consiste à ne pas exercer son esprit critique de manière systématique, et à relayer des propos naïvement sans chercher à les étayer par des preuves. Soyons donc vigilants et gardons-nous de relayer mécaniquement certaines informations qui, une fois diffusées, peuvent jouer sur le reflexe cognitif de nombreuses personnes, en créant un climat de peur et de désorganisation.
Salif SANOGO
Source : L’Aube
Last Updated on 24/11/2025 by Ousmane BALLO
