Sociétés de transport, administrations : le calvaire des chauffeurs

Au Mali, les chauffeurs semblent faire partie des parents pauvres des corporations professionnelles. Qu’il s’agisse de l’administration publique ou privée, de sociétés de transport, les conducteurs vivent de véritables calvaires. Reportage !

Il est 8 heures, ce 16 juin 2023. Nous sommes dans une station d’essence au quartier Hippodrome en Commune II du District de Bamako pour nous ravitailler en carburant. Bloqués dans un fil d’attente, nous constatons un grin en pleine discussion. Dans la foulée, quelqu’un lâche à haute voix : « J’en ai marre d’être chauffeur ». Du coup, il attire l’attention des usagers.

Nous nous approchons d’eux pour voir ce qui se passe réellement. Sur les six membres du grin, quatre sont chauffeurs de citerne dans une société de distribution d’hydrocarbure. Ils se plaignent tous des conditions misérables dans lesquelles ils travaillent. Nous nous présentons et leur demandons s’ils peuvent faire un témoignage au micro sur leurs conditions de vie et de travail. Ils se méfient un instant, certains ignorent même la question et détournent leur regard ; nous comprenons aussitôt qu’ils ont peur de parler au risque de se faire licencier.

Quelques minutes après, l’un d’entre eux accepte de témoigner même s’il veut qu’on épargne le nom de la société. Lui, c’est Daouda Traoré, originaire de la région de Sikasso. Dans son explication, Daouda regrette clairement d’être chauffeur. « C’est vrai, on nous dit toujours d’éviter de parler à la presse, mais là, il faut qu’on parle. Personnellement, je n’en peux plus », lâche-t-il. Il poursuit : « Je suis conducteur de cet engin (citerne) depuis plus de dix ans maintenant. Nous avons toujours pensé que la situation allait s’améliorer un jour. Mais non ! Moi qui vous parle, j’ai pris trois semaines pour aller faire mes semis à Sikasso après la tombée des premières gouttes de pluie. C’est parce que je perds espoir avec ce métier. J’ai une femme, des enfants et des parents derrière moi. Je ne peux donc plus abandonner l’hivernage pour des miettes », nous confie-t-il avec désespoir.

Selon Daouda Traoré, c’est surtout le salaire qui est insuffisant. « Nous sommes payés ici à 50 000 francs FCFA et ce payement même n’est plus régulier. Nous avions des primes quand nous voyageons auparavant, mais actuellement cela a cessé et le salaire est assez irrégulier. Comment on peut nourrir et entretenir une famille avec cette somme de nos jours ? », s’interroge-t-il.

Chauffeur, la plaque tournante d’une vie !

Sonnés par la situation, nous avons décidé d’élargir notre enquête sur le sujet. Le constat est que ce calvaire est presque une réalité partout. D’autres même connaissent le pire. Dans les transports en commun, dans les administrations, chez les particuliers ou au sein des sociétés de transport, partout la même situation prévaut.

Dans certains départements ministériels ou services publics, les chauffeurs subissent des traitements laissant à désir alors qu’ils sont au centre du fonctionnement desdites structures. Pour la plupart, ils ont un salaire dérisoire comme chez les particuliers et n’ont pas de sécurité sociale encore moins de retraite.

Aba Boiré est un chauffeur à la retraite qui a servi dans les organismes internationaux pendant plus de trente ans. Pour lui, le traitement réservé aux chauffeurs est tout simplement injuste. « Rien ne fonctionne sans les chauffeurs dans les services. Dans les départements, dans les familles, dans la société tout court. Ils sont sollicités à tous les niveaux. Mais, pourquoi ne pas leur donner les valeurs qu’il faut ? », souligne-t-il.

Il poursuit : « Mais malheureusement, ce n’est pas le cas. Pire, ils font l’objet de violences verbales, dorment souvent des heures dans le véhicule pendant que le patron est dans une réunion, dans un dîner etc. Alors que la sécurité de cette personne est entre les mains du chauffeur. »

L’autre galère, c’est lors des missions où certains chefs de service détournent les frais de mission et d’hôtel du chauffeur le laissant traîner sous les hangars. « Les frais de mission journaliers d’un chauffeur sont seulement de 2 000 F CFA à la rigueur 5000 dans certains services. Alors qu’au même moment, pour la même mission, nos patrons se tapent par jour un minimum de 50 000 à 100 000 FCFA ou plus. Comment comprendre cela ? », s’interroge M. Diakité, chauffeur dans une ONG de la place.

Dans les transports en commun ou encore chez les particuliers dans les domiciles, les chauffeurs sont délaissés et vivent sous la menace constante de licenciement. Abdoulaye Keïta est chauffeur dans un club de football. Selon lui, il n’y a aucune règle de travail pour les chauffeurs. « Nous travaillons au rythme de la direction. Les autres se reposent quand ils veulent, mais pas les chauffeurs.  Notre cas est pire. Nous n’avons ni congés, ni contrat, mais avec un salaire qui ne dépasse pas les 50 000F CFA », souligne-t-il.

La responsabilité de l’État et les patrons de sociétés…

M. Harouna Konaté est le coordinateur du Groupement des syndicats des transporteurs et conducteurs routiers du Mali. Selon lui, c’est un Groupement qui rassemble au sein de lui plusieurs associations et syndicats des transporteurs.

Il témoigne : « Les difficultés auxquelles les transporteurs en un mot les chauffeurs sont confrontés sont connues. Ce sont généralement des difficultés relatives au salaire et aux garanties de bons traitements, notamment les contrats de travail, la sécurité sociale ou encore le manque de respect, de considération dans leur travail. Ce sont des difficultés auxquelles nous sommes tous confrontés même étant le responsable de la coordination. »

Parlant du rôle des syndicats dans l’amélioration des conditions de vie et de travail des chauffeurs, Harouna Konaté rappelle : « Dans les années 1992 et 1993, à l’époque nous étions avec l’Union nationale des Travailleurs du Mali (UNTM), comme première action, nous avons cotisé entre chauffeurs pour nous mettre ensemble afin de chercher notre document. Et c’est à partir de ce moment qu’on a commencé les démarches pour organiser le secteur. Parce qu’il souffrait de l’anarchie. »

Selon le coordinateur du Groupement des syndicats des transporteurs et conducteurs routiers du Mali, au sein des sociétés, la plupart des chauffeurs n’ont pas de congés. « Donc de tout le temps, nous avons mené des actions afin que cela puisse changer. Ce qui nous a conduits à l’élaboration de la Convention collective qui prend en compte toutes les préoccupations même si son application continue de causer problème. Tout ce que je peux dire, c’est que le Groupement s’est toujours battu pour la cause des chauffeurs. Mais notre rôle est de plaider et de recommander. Il y a l’État et les patrons des sociétés qui ont grandement leurs parts de responsabilité », conclut-il.

En clair, les chauffeurs seraient les enfants oubliés de la République.

Amadou Kodio

Source : Ziré

Last Updated on 22/06/2023 by Elalie Konaté