Crise au Mali : résister à la tentation des recettes politiques usées

Si les chefs d’État de la Cedeao qui se rendent ce jeudi 23 juillet au chevet du Mali ne vont pas au-delà de la recommandation des recettes habituelles, les chances sont minces de mettre fin à la succession des impasses politiques, dangereuses pour le Mali comme pour tout le Sahel.

Alors que cinq chefs d’État foulent le sol malien pour renforcer la médiation entreprise par la Cedeao, il n’est pas inutile de rappeler que les compromis politiques hâtifs ont nourri depuis de nombreuses années l’aggravation du fossé entre les citoyens d’une part, les gouvernants et les élus de l’autre. Sans une prise en compte explicite des aspirations des populations de ce vaste pays à un changement visible des pratiques politiques et de la gestion des affaires publiques, aucun gouvernement d’union nationale assorti de quelques correctifs institutionnels circonstanciels ne saurait faire office de solution.

Nous avons collaboré il y a quelques mois à l’organisation d’une série d’ateliers de réflexion sur l’économie politique au Burkina Faso, au Niger et au Mali. Nous avons écouté dans chacun de ces trois pays du Sahel des représentants de partis, d’organisations de la société civile, de mouvements citoyens et d’analystes décrire les pratiques politiques réelles, indissociables des pratiques économiques, sociales et culturelles. Nous avons essayé de dégager de ces échanges une compréhension plus fine des véritables sources du pouvoir politique, des mécanismes d’émergence des leaders, des rapports entre les élus et leurs bases électorales et des implications des pratiques politiques réelles dans le fonctionnement et la gouvernance démocratiques.

Crise de confiance

Le constat des acteurs était unanime au moins sur un point : la crise de confiance entre les populations et ceux qui sont censés les représenter et défendre leurs intérêts est profonde, et dangereuse, dans les trois pays. Avec, certes, des variations dans les manifestations de cette crise d’un pays à l’autre. Au Mali, sur un terreau d’insécurité, avec des violences qui se sont aggravées depuis huit ans, la stabilité politique est aujourd’hui menacée malgré la multiplication des initiatives internationales.

Ces dernières semaines, le pays a failli basculer dans une insurrection populaire aux conséquences incertaines. Les manifestations massives contre le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta ont dégénéré en destruction de bâtiments publics et en répression violente par des forces de l’ordre, et même par celles a priori destinées à la lutte contre le terrorisme. Bilan : au moins onze morts et une centaine de blessés.

La trêve décidée par le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), la coalition d’opposition, en raison de l’approche de la grande fête musulmane de la Tabaski ne mettra pas fin à la crise actuelle. D’ailleurs, la contestation des résultats des élections législatives, proclamés par une Cour constitutionnelle soupçonnée d’être aux ordres de l’exécutif, n’en a été que le détonateur.

Tirer les leçons du passé

Nous avons tous les deux suivi les soubresauts de l’histoire politique malienne de ces dix dernières années. Il peut être utile d’en tirer des leçons pour ne pas continuer à reproduire les mêmes erreurs. La principale leçon est que la focalisation exclusive sur l’apaisement a mené chaque fois à des compromis politiques qui ne prennent pas ou que très partiellement en compte les souhaits de changement et de refondation exprimés par les populations.

Ce fut le cas après le coup d’État militaire de 2012, qui avait suscité un espoir populaire de changement de la gouvernance, malgré les signaux inquiétants donnés par les figures de ce putsch. L’accord-cadre négocié par la Cedeao, alors pilotée par le président burkinabè Blaise Compaoré – à l’époque déjà contesté dans son propre pays – a mis sous le boisseau les demandes de concertation nationale et privilégié les arrangements de court terme visant une normalisation institutionnelle de façade.

Au lendemain de l’organisation rapide de l’élection présidentielle de juillet 2013, les « pourparlers inclusifs » qui devaient avoir lieu ont largement cédé la place à un processus dominé par le gouvernement et les chefs des groupes armés, toujours très influents dans le nord du pays. Les tentatives, notamment par l’Union européenne, d’élargir l’interprétation du mot « inclusif » pour prendre en compte l’ensemble des voix indépendantes de la société civile se sont en fait traduites par une invitation à chacune des parties de désigner sa propre société civile…

« QUI REPRÉSENTERA LA SOCIÉTÉ CIVILE ? ET SURTOUT, À QUOI SERVIRAIT UN TEL GOUVERNEMENT S’IL N’Y A PAS UN CONSENSUS MINIMAL PRÉALABLE SUR SA FEUILLE DE ROUTE ? »

On risque de voir exactement le même scénario se répéter si un gouvernement d’union nationale se formait selon les règles de répartition préconisées par la mission de la Cedeao : 50 % des postes ministériels pour le pouvoir, 30 % pour le M5-RFP et 20 % pour la société civile. Qui représentera la société civile si cette recommandation venait à être acceptée par les parties ? Et surtout, à quoi servirait un tel gouvernement s’il n’y a pas un consensus minimal préalable sur sa feuille de route et ses objectifs prioritaires ?

Un consensus plutôt qu’un compromis

Un énième compromis – qui porterait essentiellement sur le partage de postes ministériels entre des acteurs d’une classe politique sévèrement jugée par les populations maliennes, en particulier par la jeunesse désemparée –, pourrait achever ce qu’il reste de l’espoir de sortir petit à petit de la crise multidimensionnelle sans sacrifier les traditions séculaires maliennes de dialogue et de modération, les principes de démocratie, d’État de droit, et de respect de la diversité.

Un consensus qui permet de construire sur un terrain commun, à l’issue d’un dialogue sur des questions substantielles concernant l’avenir de la communauté nationale, demande bien plus qu’un compromis qui se limite souvent à des concessions des parties en conflit sur des revendications politiques précises à portée limitée.

Comme dans toute crise politique de cette nature, où deux camps identifiables estiment avoir chacun l’onction du même peuple, les observateurs se posent la question de la représentativité des uns et des autres.

Le M5-RFP est un mouvement hétéroclite qui est uni seulement face à l’adversaire commun, le pouvoir d’IBK. Les stratégies de sortie de crise prônées par ses membres sont très divergentes. Difficile d’imaginer qu’une telle coalition tienne dans la durée. Mais le M5-RFP, représentatif ou pas, est capable de mobiliser autour d’une contestation qui ne date pas d’hier, et qui est beaucoup plus profonde que les revendications politiques portées par le mouvement.

Ce serait une erreur de considérer d’office que le camp opposé – le régime en place – reflète davantage la diversité des populations maliennes que le M5-RFP. Quiconque a suivi les élections au Mali depuis deux décennies sait à quel point la légitimité conférée par les urnes dans un contexte de grave faiblesse des institutions de contre-pouvoir peut être contestée, et l’a régulièrement été.

Il ne s’agit donc pas d’épiloguer sur qui est plus représentatif que qui, mais de pousser à un dialogue engageant des participants qui peuvent formuler clairement les idées qu’ils défendent et les préoccupations de la population qu’ils estiment représenter.

« LE PRIX D’UNE APPROCHE MINIMALISTE POURRAIT ÊTRE TRÈS ÉLEVÉ POUR TOUTE LA RÉGION »

Si les chefs d’État de la Cedeao ne vont pas au-delà de la recommandation des recettes habituelles – perçues par les populations marginalisées comme des réallocations de parts de gâteau entre des acteurs opportunistes –, les chances de mettre fin à la succession des impasses politiques dangereuses pour le Mali, le Sahel et l’Afrique de l’Ouest seront très minces.

Ils devraient mobiliser tous les chapitres du protocole additionnel de la Cedeao sur la démocratie et la bonne gouvernance, qui incarne l’ambition de l’organisation régionale à promouvoir des systèmes démocratiques ayant du sens et de l’intérêt pour les populations.

L’article 32 de ce protocole ne saurait être plus clair : « Les États membres conviennent de ce que la bonne gouvernance et la liberté de la presse sont essentielles pour la préservation de la justice sociale, la prévention des conflits, la sauvegarde de la stabilité politique et de la paix et le renforcement de la démocratie ». Le prix d’une approche minimaliste de la gestion de cette crise politique pourrait être très élevé pour toute la région.

Par  Gilles Olakounlé Yabi

Économiste et analyste politique

Source : L’Aube

 

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