Esclavage dans le Kaarta : les rescapés à Mambiri oubliés par la justice !

Un drame humain secoue le Kaarta, dans la région de Kita. En 2019, des milliers d’individus, asservis et terrorisés par des menaces de mort, ont été contraints d’abandonner leurs foyers et leurs possessions pour trouver refuge à Mambiri. Ces personnes, victimes de l’esclavage et de sévices physiques et moraux, voient leurs souffrances ignorées par la justice, laissant leurs agresseurs impunis.

Les événements tragiques ayant conduit à cette fuite massive sont à la fois déchirants et révélateurs des profondes injustices persistantes dans certaines régions du Mali. Les témoignages poignants des survivants nous offrent un aperçu bouleversant de la cruauté infligée par leurs oppresseurs. Ces récits dépeignent un tableau accablant de l’esclavage moderne et de la terreur qui l’accompagne.

« J’ai été humilié, torturé et traîné devant le chef de canton à Sofeto par une foule déchaînée afin que j’avoue être et resté esclave. Pendant ce temps, mes biens ont été volés, ma plantation vandalisée, et pour finir, j’ai été contraint de quitter mon village natal, où mes grands-parents font partie des fondateurs. De Mambiri, nous avons porté plainte contre une vingtaine de personnes au Tribunal de Grande Instance de Kita », rappelle Yaya Sidibé, un septuagénaire natif de Birisibougou dans la commune de Dindako.

Somité Fofana, un autre septuagénaire de Sakora dans la commune de Guémoukouraba, a connu un sort similaire, avec encore plus de dégâts physiques et moraux. Il a perdu des dents lors de l’agression, ce qui a entraîné des problèmes de vision. Malheureusement, il est décédé à Mambiri quelques jours après l’entretien. Selon son témoignage, plus de 60 villages du Kaarta l’ont attaqué avec sa famille à Sakora, jurant de faire de lui un exemple pour ceux qui envisagent de s’affranchir de l’esclavage par ascendance. À l’époque, il avait été enfermé, déshabillé et exposé dans un tricycle pour faire le tour du village avant d’être présenté devant le chef de canton de Sofeto. Ses biens, y compris ses plantations, ses troupeaux, ses engins roulants et ses bâtiments, ont été volés ou vandalisés lors de ces événements.

Fanta Diarra, mère d’une petite fille de trois ans au moment des faits à Sakora, a été violentée à son domicile et sa fille a failli y perdre la vie. Aujourd’hui, la petite fille porte encore des séquelles visibles sur son visage. Aminata Traoré, une mère en situation de handicap, n’a pas non plus échappé à la vindicte populaire à Birisibougou. Sa maison a été vandalisée et tous ses biens, y compris son tricycle pour handicapé offert par ses enfants depuis l’Europe pour faciliter ses déplacements, ont été volés.

Pour Aguibou Bouaré, président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme au Mali (CNDH), la CNDH a toujours été en première ligne de la lutte contre l’esclavage par ascendance. « Nos actions, plaidoyers et pressions ont poussé les autorités à reconnaître l’existence de l’esclavage par ascendance. Les ministres de la justice ont donné des instructions aux Procureurs par lettres circulaires pour mieux poursuivre, tenir la cour d’assise spéciale à Kayes sur les crimes en lien avec l’esclavage, prendre un projet de code pénal criminalisant l’esclavage par ascendance, bannir l’esclavage dans la nouvelle Constitution de 2023. Nous continuons le combat à travers plusieurs actions reconnues et saluées par ceux qui suivent l’actualité et nos actions », explique-t-il.

Le président de la CNDH conclut en soulignant que le droit à une justice équitable dans un délai raisonnable est un droit fondamental. « Nous avons toujours recommandé plus de diligence dans les procédures judiciaires afin d’éviter le sentiment d’impunité que les victimes pourraient ressentir à juste titre. L’impunité pourrait favoriser des tentatives de justice privée, les victimes pourraient être tentées de se rendre justice, toutes choses condamnables et préjudiciables à la cohésion sociale », avertit-il.

L’interpellation des suspects requiert un renfort en provenance de Bamako

Selon Me Touré, Avocat de la partie civile, le cabinet en charge de l’instruction du dossier confirme avoir donné instruction aux forces de l’ordre et de sécurité d’interpeller les 26 prévenus afin qu’ils répondent des accusations portées à leur encontre. Poursuivant, Me Touré témoigne que le chef des opérations de la région de Kayes avoue ne pas disposer de l’effectif nécessaire pour mener à bien cette mission. Il requiert un renfort en provenance de Bamako pour procéder à l’interpellation des suspects du crimes liés à l’esclavage et à ses pratiques assimilées.

Malgré les preuves accablantes et les appels à la justice, les responsables présumés n’ont jamais été convoqués devant le tribunal, laissant les victimes dans un état de désarroi et d’impuissance. L’absence d’action de la part des autorités compétentes soulève des questions troublantes sur l’efficacité et l’intégrité du système judiciaire dans la lutte contre l’esclavage et les violations des droits de l’homme.

Face à cette grave injustice, il est impératif que la lumière soit faite sur ces crimes odieux et que les coupables soient tenus responsables de leurs actes. Les rescapés de Mambiri méritent non seulement réparation pour les torts qui leur ont été infligés, mais aussi l’assurance que de telles atrocités ne se reproduiront jamais.

En donnant une voix à ceux qui ont été réduits au silence par la terreur et l’oppression, nous nous engageons à ne pas oublier les souffrances endurées par les rescapés de l’esclavage dans le Kaarta. Leur quête de justice et de dignité doit être soutenue et défendue, afin que leur histoire serve de rappel poignant de la nécessité de combattre l’esclavage sous toutes ses formes, où qu’il se trouve au Mali, en Afrique et dans le monde entier.

Presque cinq ans que les victimes de l’esclavage attendent que justice soit rendue

Rappelons que la Constitution en vigueur, dans son Article 4, stipule que : « Nul ne peut être soumis à la torture, à l’esclavage, aux traitements inhumains, cruels et dégradants. Tout individu, tout agent de l’État qui se rend coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi ». De plus, dans son Article 7, elle garantit que : « Toute personne a droit à un procès équitable et à un jugement rendu dans un délai raisonnable ». Cela fait presque cinq ans que les rescapés de l’esclavage dans le Kaarta, installés à Mambiri, attendent que justice leur soit rendue.

Gabriel Tiénou pour Afrikinfos-Mali

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