Décryptage: Moment de vérité

Aujourd’hui, dans « Décryptage », la visite de Monsieur C. K. Maïga à Gao et le défi sécuritaire.

Reconnaissance

Vendredi 17 février 2023, Gao, la plus grande ville du Nord. A peine à 1200 km au nord de Bamako, nous sommes au plein cœur de la capitale de l’Empire Songhay, fondé par Sonni Ali Ber au 15e siècle. Des plaines agricoles et des élevages de bovins et d’ovins architecturent le paysage.

Le long des routes, s’étendent à perte de vue des champs et pâturages, délimités parfois par quelques mares et affluents du fleuve Niger. Loin des combines politiques de Bamako, des villages avec leurs écoles et leurs commerces jalonnent la nationale 16. Coincés entre le fleuve Niger et le désert, Gao vit au rythme des saisons et des cultures vivrières. Sur les ondes des radios de la Cité des Askia – Naata, Hanna, Koïma ou Annya -, les habitants ont vent du climat tendu à Bamako (scrutins à venir), de la guerre en Ukraine ou du sommet de la Cédéao. Tout ceci parait loin.

Les justifications des réformes à Bamako leur paraissent floues même si des leaders « autoproclamés » de la région parlent en leur nom. Comme me dit un ami, « on ne leur a rien demandé ». Voilà le contexte dans lequel Choguel K. Maïga rend visite aux habitants de Gao.

De son vrai nom Chouaïbou Issoufi Souleymane, le Premier ministre Choguel K. Maïga foule Gao, terre de ses ancêtres, presque deux ans après sa nomination à la Primature le 7 juin 2021. Accueilli en prince, M. Maïga témoigne sa reconnaissance à son peuple pour l’avoir soutenu durant sa convalescence. Partout, les notables, les élus, les jeunes acclament l’enfant de Tabango. Certains souhaitent le toucher, d’autres veulent juste le voir pour s’assurer qu’il va mieux.

L’à-coup de la visite de terrain

Tout se déroule comme prévu jusqu’à ce grain de sable : l’annulation des « visites de terrain » du Choguel K. Maïga à Ansongo et à Bourem pour des raisons sécuritaires. Un moment de vérité pour le Premier ministre. Gardons notre sang-froid. Cette annulation constitue un à-coup pour M. Maïga. La fragilité sécuritaire réduit la capacité de déplacement du Premier ministre et de sa délégation sur l’ensemble du territoire.

C’est aussi le premier marqueur manifeste des difficultés à croiser les moyens politiques et militaires. Un sentiment d’irritation et d’énervement gagne les habitants d’Ansongo et de Bourem. L’espoir de serrer la main de leur frère disparait. Le doute s’installe. Les mines sont graves. C’est à se demander pourquoi diable le gouverneur de Gao annule les étapes de Chouaïbou Issoufi Souleymane à Bourem et Ansongo alors que les FAMa seraient en capacité de le sécuriser. Ce qui peut contribuer à dévaloriser la parole politique.

En plus de ce rebondissement, c’est la déconnexion des élites à Bamako de ces réalités du terrain qui peut expliquer le fossé entre les villes et les zones rurales. Les efforts de lutte contre l’insécurité sont moins visibles dans les campagnes rurales que dans les villes. Réduire cet écart, c’est répondre à la question de souveraineté et du développement.

La radiographie des différents régimes maliens, militaire et démocratique, montre que les politiques de développement ont été toujours inégales. Bien évidemment, la réforme de décentralisation des années 1990 a tenté de réduire les écarts entre les territoires, de rapprocher les citoyens des décideurs. Mais le compte n’y est toujours pas, à cause de la mauvaise gestion, des putschs à répétition et de la tension sécuritaire. Pas seulement au Mali.

L’insécurité ronge les transitions

Nos voisins immédiats, comme le Burkina Faso, sont embrasés par le narco terrorisme. Le 17 février dernier, dans la province de l’Oudalan, une cinquantaine de soldats burkinabés meurent dans une attaque narcoterroriste. Chaotique ! Au Mali, le 21 février dernier près de Songobia (Bandiagara), 3 casques bleus ont été tués par un engin explosif. Cauchemardesque. L’insécurité ronge les transitions. Le yoyo des rapports de force enjoint nos Etats de réinventer les ficelles des politiques sécuritaires pour créer les conditions de la paix.

Par une diplomatie de dialogue, il est temps de rallier tous les acteurs : sociétés civiles, syndicats, opposants politiques, citoyens, chefs de village, élus locaux. Par réalisme, nous devons construire une diplomatie plus organisée et proactive pour ramener tout le monde à la table du dialogue. La nécessité d’engager un vrai processus de dialogue politique s’impose.

« La conférence des chefs d’Etat et de gouvernement réitère la nécessité d’ouvrir l’espace politique à tous les acteurs des trois pays et d’assurer un dialogue politique inclusif », extrait du communiqué final du sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la Cedeao du 18 février 2023 à Addis-Abeba. Nous sommes-nous tous préoccupés par la paix et la sécurité.

Souffle démocratique

A Gao comme dans l’Oudalan, à Ansongo comme à Oursi-Deou, le besoin de souffle démocratique presse. D’ailleurs, la preuve de la démocratie, c’est qu’on s’en réclame. Au-delà de ses fragilités, elle demeure le principe actif de tout pouvoir. Le chahut de la conférence de presse de « l’Appel du 20 février pour sauver le Mali » pour le retour des civils au pouvoir et la dégradation des biens de la Maison de la presse appellent à apaiser le climat sociopolitique. Le reniement des libertés publiques n’est pas la solution. Elle ne peut générer que de la violence.

Pour finir, notre mental analytique devra nous permettre de mieux gouverner pour réduire l’écart entre ce qu’il faut faire pour atteindre les objectifs de contreterrorisme et générer le meilleur pour arrêter la souffrance des populations rurales. Gouverner, c’est aussi faire l’épreuve de l’échec, se frotter aux situations nouvelles. Donc, c’est être capable de tolérer. Une tolérance qui invite à continuer et se transformer soi-même.

Au firmament, le courage politique et l’amour du Mali incitent à visiter les campagnes rurales. Les visites des dirigeants de la Transition dans les camps des déplacés et dans les territoires ruraux sur l’ensemble du territoire finissent par développer des sensibilités au sort qui leur est réservé. Une question de bon sens !

Mohamed Amara, Sociologue

Source: Mali Tribune

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