Écoliers et autres mineurs à l’assaut des sites d’orpaillage : l’argent à tout prix !

Pratiqué depuis des siècles, l’orpaillage au Mali est devenu un secteur d’activité à haute intensité de main d’œuvre à travers d’innombrables sites d’extraction aurifère. Les filles et garçons y sont de plus en plus nombreux, soucieux de subvenir aux besoins de leurs familles et parents, mais au détriment de leur cursus scolaire. Une situation qui irrite des ONG et associations décidées à ramener le maximum d’entre eux/elles sur les bancs de l’école. Enquête !

Des mineurs s’apprêtant à travailler sur le site de Nampala, région de Sikasso.

Kadidiatou Diakité a vingt ans. Depuis l’âge de sept ans, elle accompagne sa mère à la mine d’or de Nampala, un village situé à 70 km de Sikasso, la deuxième ville du Mali, à environ 375 km de la capitale Bamako. Dans des conditions d’insalubrité et d’insécurité très élevées, elle a appris une palette infinie de techniques qui composent la chaîne d’extraction du minerai : creusage, lavage, vannage, concassage, tamisage. Après, le transport et la vente des quantités de métal jaune recueillies n’ont plus de secret pour elle. Et si ce n’était pas la mine, c’étaient les champs agricoles de ses parents qui l’accueillaient. Mais treize ans plus tard, elle rêve encore d’aller à l’école.

Le site d’orpaillage de Nampala, au même titre que les propriétés agricoles, est un repaire d’enfants travailleurs obligés de contribuer à la survie de familles pauvres et démunies, à temps plein ou par un système d’alternance avec l’école. D’après nos investigations, ce sont les parents qui exigent de leur progéniture d’abandonner les bancs de l’école pour apporter des ressources financières à la famille. La jeune Kadidiatou Diakité en a fait l’expérience, mais elle n’est pas seule.

Fatim Diarra et Oumou Sanogo, moins de douze ans, ont des histoires similaires. La première a décroché après avoir passé deux ans à l’école car sa mère, tombée malade, ne pouvait plus s’occuper de son jeune frère également mal en point. La seconde, après quatre années d’études, a également été contrainte à l’abandon pour aider une maman invalide. « J’ai dû obéir à l’injonction de mes parents », lâche Oumou, visiblement marquée par le poids des charges qu’elle soulève chaque jour sur l’unique site d’orpaillage proche du village.

Malgré tout, les deux fillettes affirment se plaire dans leurs activités qu’elles déroulent avec aisance. Dans cet environnement d’adultes plutôt masculins, elles ont l’espoir quotidien de retourner chez elles le soir avec quelques misérables grammes d’or.

« Quand je gagne quelque chose, je le donne à mes parents pour qu’ils puissent m’acheter des habits pendant les fêtes », ajoute Oumou Sanogo, au milieu des eaux souillées où la couleur rouge de la terre règne sur son visage et sur sa tenue.

Des écolières astreintes au travail des enfants

Au contraire de Fatim et Oumou, Astan Diarra, scolarisée jusqu’au niveau cinquième année fondamentale, a l’insigne chance de partager son quotidien entre la classe et la mine d’orpaillage. C’est le week-end ou les jours fériés, avec d’autres filles et garçons, qu’elle va creuser, transporter, tamiser et laver les minerais d’or qu’elle aura pu extraire de terre. « Je fais ce travail pour avoir un peu d’argent et pouvoir m’acheter des habits pour les fêtes », dit-elle en toute innocence.

Barakissa Keïta est l’une de ses camarades. Toutes deux soutiennent que leurs parents sont opposés à ce qu’elles abandonnent l’école pour travailler exclusivement à la mine de Nampala. « Eux et les instituteurs nous disent tout le temps de poursuivre nos études », affirment en chœur les deux mineures.

A Nampala, le chef du village Bakary Sanogo et ses conseillers confirment tous la réalité du travail des enfants aussi bien dans les mines environnantes que dans les champs agricoles. « Ils sont nombreux, surtout le week-end. Ils peuvent être jusqu’à 200 par site », révèle Dramane Sanogo, l’un des conseillers. Mais, il réfute l’idée que l’orpaillage détourne les enfants des classes.

Des enfants travaillant dans la boue au site d’orpaillage de Nampala

Du reste, le chef du village et son staff saluent « une prise de conscience » née dans l’opinion par rapport au phénomène d’abandon des classes. A ce titre, ils reconnaissent que le travail de sensibilisation véhiculé par le programme ‘’Travail Pas Affaires des Enfants’’ et par d’autres ONG agissant contre les pires formes du travail des enfants a permis de réduire la proportion des mineurs qui tournent le dos à l’école au profit de l’orpaillage.

« L’argent qui est tiré de l’or n’est pas éternel, mais le savoir, lui, est éternel. Les parents d’élèves et les autorités savent que l’avenir est à l’école et non dans les mines.  Cette conscience fait que l’orpaillage n’est plus un frein à la poursuite du cursus scolaire des enfants », analyse Bakary Traoré, conseiller à la mairie sise à Nampala.

Aujourd’hui, les enfants en situation de mobilité entre les mines et l’école sont directement recensés par les autorités avec le soutien du programme TPAE. Puis, ils sont renvoyés dans leur commune ou village d’origine.

Textes nationaux et conventions internationales foulés au pied

Pourtant, cette situation n’aurait jamais dû exister. Le Mali a ratifié la convention n°138 de l’Organisation internationale du travail (OIT) relative à l’âge minimum d’admission à l’emploi, et la convention n°182 sur les pires formes du travail des enfants. Mais sur les sites d’orpaillage, aucun système formel de protection des enfants n’est visible.

Au plan interne, le Code du Travail prévoit que l’âge minimum légal d’admission à l’emploi est de quinze ans. En outre, le gouvernement a établi une liste des formes dangereuses de travail qui sont interdites aux personnes de moins de dix-huit ans.

Selon une enquête de l’Institut national de la Statistique du Mali (INSAT), 81,4% des enfants astreints au travail vivent dans les zones rurales, dont  65,2% pour le secteur agricole. A elles trois, les régions de Kayes, Sikasso et Ségou concentrent environ 70% de ces enfants astreints au travail.

De plus, 77% travaillent plus de 15 heures par semaine et 76% sont à l’astreinte au moins six jours par semaine. Quant aux taux d’emploi des garçons et des filles jusqu’à 15 ans, ils sont pratiquement identiques.

Selon la Cellule nationale de lutte contre le travail des enfants au Mali, environ un enfant sur trois est obligé de travailler, souvent dans des conditions précaires. Une grande majorité d’entre eux sont aide-ménagères ou main d’œuvre agricole. Dans les champs, leur contribution est sollicitée pour la récolte, le nettoyage de parcelles, le labour, le sarclage et le semis. A partir de 14 -15 ans, ils commencent à prendre les mancherons de la charrue pour le labour et participent aux activités susmentionnées et, quelques fois, à l’épandage d’engrais. D’autres travaillent dans les mines d’or et s’exposent aux maladies ainsi qu’aux blessures liées à ce travail. Nombre d’entre eux ne parviennent pas à mener une scolarité en parallèle avec leur travail. Ils finissent par abandonner l’école.

Selon nos investigations, aucun service public de protection de l’enfance n’intervient sur les sites d’orpaillage. Par contre, des ONG et associations comme le programme TPAE développent de façon ponctuelle les activités de sensibilisation à titre de prévention des risques sur les sites. Leurs interventions semblent appréciées par les responsables des sites que nous avons sillonnés à Kéniéba, Sikasso et dans le cercle de Kangaba.

Quant aux forces de sécurités stationnées à proximité des sites d’orpaillage, elles n’interviennent pour la sécurité générale des personnes et des biens à condition d’être saisies.

Les ravages d’un phénomène

Ecartelés entre deux obligations, de nombreux enfants qui travaillent dans les mines les jours fériés peinent à avoir un bon cursus scolaire à cause de l’impact négatif du travail d’orpaillage.  « Je ressens une grande fatigue en faisant ce travail, mais je n’ai pas le choix, c’est pour les parents », confesse Astan Diarra.

Certains enfants ont fini par s’habituer avec de lourdes responsabilités sur leurs épaules au sein de la mine. C’est le cas d’Aminata Diarra, 17 ans et aucune connexion avec l’école. « A 8 ans, j’accompagnais déjà mes parents. Aujourd’hui, je peux venir travailler seul », dit-elle avec fierté.

Le travail des enfants dans les zones aurifères a tellement pris de l’ampleur qu’aucune localité n’est épargnée par le phénomène. Dans le site de Bouassa, à quatre km au sud de la commune de Niéna, cercle de Sikasso, des filles et garçons de dix à quinze ans sont employés par les orpailleurs pour des travaux rudes. Ils participent au transport de tonnes de sable, boue et pierres extraits des puits profonds de 50 à 80 mètres, alignés à ciel ouvert. Les agents chargés de la sécurité du site avouent leur impuissance à conjurer le travail des enfants. « C’est une situation déplorable due en général à l’extrême pauvreté des familles. Ceux qui sont là avec ou sans l’accord de leurs parents, ils ont besoin de gagner de l’argent pour soutenir les charges familiales », explique Sidy Diakité, l’un des responsables du site.

Maïmouna Ouattara, unique colleteuse d’or sur le site de Bouassa, ne cache pas son mépris face au travail des enfants dans les zones d’orpaillage. Bien qu’elle ait deux gamines qui l’assistent dans ses activités, elle se défend de les faire travailler durant les périodes de classe. « Mes enfants retournent à l’école à l’ouverture des classes », dit-elle.

Surchargés de travail, notent les autorités sanitaires, les enfants deviennent des cibles pour les maladies sexuellement transmissibles (MST), les diarrhées, le paludisme, dans un environnement insalubre et peu propice à leur épanouissement.

Exploitation sexuelle des mineures : c’est l’omerta

La quête du métal jaune a pulvérisé les règles de bonnes mœurs. Ce qui a engendré de nombreux viols et abus sexuels contre les jeunes filles, selon plusieurs témoignages anonymes recueillis au cours de nos enquêtes. Sur les sites d’orpaillage dans les cercles de Sikasso et de Kéniéba, les mineures se prononcent difficilement sur les violences sexuelles dont elles sont victimes au quotidien. « Oui, je connais directement et indirectement des filles qui ont été sexuellement agressées sur leurs lieux de travail à la mine », confie une orpailleuse ayant requis l’anonymat.

Les « tombolomas » (les chasseurs qui assurent la sécurité ou les responsables dans les sites) sont discrets sur le sujet. C’est l’omerta. Cependant, divers témoignages confirment l’existence d’un phénomène d’exploitation sexuelle des enfants, en particulier à travers la prostitution des filles mineures.

Selon une étude sur l’exploitation sexuelle et la traite des enfants dans les sites d’orpaillage, publiée en 2020 par Saïdou Ouédrago (expert international en droits et protection des enfants) et Coulibaly Ngra Zan Christophe (expert en Science de l’éducation), la récurrence des abus sexuels s’explique par des croyances qui entourent la recherche de l’or, du genre « on ne vole pas de l’or » ou « le sang attire l’or ».  Pour Ouédraogo et Coulibaly, certaines de ces croyances sont l’attirance pour les filles vierges et l’entretien de rapports sexuels avec les filles qui sont en menstruation. Une double tendance qui serait une porte ouverte aux viols et à d’autres formes d’abus sexuels.

L’abandon des classes

Dans le cercle de Kéniéba, situé à plus 400 km à l’ouest de Bamako, l’orpaillage est devenu au fil des années l’activité principale des populations dans la quasi-totalité de la commune de Stakily. Ainsi, dans le village de Djidian, un nombre important des enfants orpailleurs vient des régions de Bougouni et Ségou, et souvent des pays limitrophes comme le Burkina Faso et la Guinée. Dans cette localité, autorités communales et responsables éducatifs affirment que l’avènement des mines industrielles a réduit le travail des enfants dans les sites d’orpaillages. Airness Diarra, directeur du Centre d’animation pédagogique (CAP) de Kéniéba, estime que d’autres facteurs concourent également à l’abandon scolaire. Comme le mariage précoce, les longues distances à parcourir, l’absence de cantine scolaire.

« Ce phénomène a fortement diminué ces trois dernières années. La majorité des enfants qui travaillent aujourd’hui dans les sites d’orpaillages viennent de l’intérieur du pays ou du Burkina Faso », souligne le conseiller d’orientation du CAP de Kéniéba, Mamadou Fily. De fait, le taux de déperdition dans l’ensemble du cercle ne dépasse pas 2% par an, révèle-t-il.

Mais dans d’autres communes, c’est une autre histoire. Selon le directeur du premier cycle de Djidian, Seydou Filifin Keïta, le taux d’abandon a atteint 10,41% lors de la rentrée scolaire 2021-2022. « Les enfants qui abandonnent les classes au profit de l’orpaillage sont âgés souvent de douze à quatorze ans. Ils sont le plus souvent influencés par leurs aînés qui travaillent déjà dans les mines », explique-t-il.

En 2021, le directeur a relevé 74 cas d’abandon sur un effectif de 689 élèves. Ce responsable de l’administration scolaire cite le mariage précoce et l’absence de suivi des parents comme conséquences…

160 millions d’enfants travailleurs dans le monde

Pour le Mali, lutter contre le travail des enfants dans les sites d’orpaillage ou dans les champs pour leur garantir une éducation de base impose de relever des défis. Le pays est à la fois l’un des pays d’Afrique où le taux de travail des enfants est le plus élevé et où les progrès dans l’élargissement de l’accès à l’éducation de base sont les plus lents. La dernière enquête nationale sur le travail des enfants publiée en 2007 révèle qu’il y a plus de 2 millions d’enfants âgés de cinq à quartorze ans astreints au travail des enfants.

Si le secteur de la production du coton occupe la première place en termes de nombre d’enfants astreints au travail, les mineurs sont de plus en plus présents dans les champs, ce qui nuit à leur cursus scolaire. D’où la volonté de nombreuses ONG et associations du monde éducatif de ramener les enfants dans les classes.

En juin 2021, un rapport de l’OIT et de l’UNICEF indique que le nombre d’enfants astreint au travail s’élève à 160 millions dans le monde, soit une augmentation de 8,4 millions d’enfants sur les quatre dernières années. Il faut y ajouter les autres millions d’enfants mis en danger par la COVID-19.

Le rapport note en sus qu’en Afrique subsaharienne, 16,6 millions d’enfants ont été astreints au travail au cours des quatre dernières années, en raison de la croissance démographique, des crises récurrentes, de l’extrême pauvreté et de mesures de protection sociale inadaptées.

Enquête réalisée par Siaka DIAMOUTENE

En raison des règles de protection des droits des enfants, dans cet article, le nom attribué au sujet principal est différent de son vrai patronyme.

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