Mendicité à Bamako : Dieu comme excuse

Réservée au départ aux enfants en formation coranique et aux handicapés, la mendicité, aujourd’hui, à Bamako, a pris toutes les formes et les mendiants usent de subterfuges pour plumer les âmes sensibles. Le secteur est très lucratif.

Dar Salam. En plein cœur de la Commune III du district de Bamako. Les abords des feux tricolores, en face de l’Ecole de journalisme et des Sciences de la communication (ESCJ), se remplissent peu à peu. Tenant dans sa main un sceau en plastique, une vieille dame, visiblement la soixantaine révolue, pose son récipient sous l’ombre d’un arbre, loin des regards des curieux.

En habituée de la place, elle prend son déjeuner d’abord. Discrètement, elle se change et met un boubou en haillon, et se jette un foulard sur les épaules. Ensuite, elle prend position devant les feux tricolores. Là, elle tend la sébile aux automobilistes et aux motocyclistes. Du matin jusqu’au soir. L’exercice parait très rude et dangereux pour son âge, pourtant elle ne fait que ça depuis plus de dix ans, au même endroit. La vieille femme se dit obligée de mendier pour pouvoir se nourrir. Que font donc ses enfants ou sa famille ? La question est sans réponse.

Moins visible avant

Au Mali, plusieurs sources s’accordent sur l’existence de la mendicité depuis toujours dans notre société. Selon Dr Facoh Donki, sociologue, retraité de l’Institut des sciences humaines, les gens invalides, les handicapés qui n’avaient pas beaucoup de ressources qui demandaient aux autres. « Avant, dans les campagnes, la mendicité était moins visible parce que les gens avaient même honte de quémander. Mais en ville ça se rependait, comme les gens de la ville sont plus aisés que ceux de la campagne », explique le chercheur.

Pour Facoh Donki, la mendicité a commencé à se généraliser avec l’islamisation, notamment avec l’arrivée massive des mouvements religieux, l’installation des écoles coraniques avec le flux des talibés qui ne n’avaient pas toujours d’emploi et qui étaient toujours obligés de mendier pour eux mais aussi en plus pour leurs maîtres.

« Il y a mendiants et mendiants »

Mohamed fait partie de ceux qui se posent des questions sur le premier sens de cette veille pratique. Ce citadin reconnait qu’il y a aujourd’hui différents types de mendiants. « Il y a des indigents qui ont vraiment besoin d’appuis. Mais, il y a aussi des mendiants d’opportunités, qui abusent de la mansuétude de autres », regrette-il, avouant très difficile de distinguer présentement le vrai mendiant du faux.

Le phénomène n’a plus son sens d’antan, constate le chercheur. « Avant, l’aspect religieux n’était pas tellement présent. C’était l’aspect invalidité qui primait. Maintenant, on a mis la religion dedans, et on a pratiquement laissé à la Zakat. Le phénomène a commencé à se généraliser jusqu’à devenir un problème de société », pense-t-il.

Si la mendicité était pratiquée par quelques des couches défavorisées, nécessiteuses dans la capitale, on assiste aujourd’hui à l’arrivée de plus en plus de personnes bien portantes, de tout âge dans la pratique. Le plus souvent, ils occupent les abords des feux tricolores, les grands ronds-points, les mosquées et cimetières de la ville, les abords des restaurants, des boites de nuits…

A côte ce premier groupe, s’ajoute une deuxième catégorie, les mendiants déguisés. Souvent bien habillés avec toujours des problèmes de famille sous la main, ils se promènent en ville ou sur des motos devant des pharmacies, restaurants, hôtels, dans les marchés et gares routières. D’autres se font plus discrets et ciblent les gros véhicules de marque en ville ou des personnes sensibles.

L’ampleur de la religion dans la société est l’une des raisons qui explique cette floraison de la mendicité, constate Facoh. «  Sans passer par là, ils ne peuvent vivre dans la ville. Comme la religiosité est vraiment très importante dans la ville mieux vaut passer par un faux mendiant habillé en musulman qu’en autre chose ». Une façon, dénonce le chercheur, d’exploiter la religion, « parce qu’il y a des mendiants qui peuvent travailler et gagner dignement leur vie, mais qui préfèrent aller faire du porte à porte pour quémander et vivre plus facilement. C’est ce qui fait que ça prospère de plus en plus ».

Reconversion des mentalités

Face à la persistance du phénomène, il est très difficile d’y mettre fin, selon Facoh Donki. Le chercheur propose plutôt une reconversion des mentalités et remettre les gens au boulot, leur faire comprendre le caractère, « immoral de la mendicité ». « Parce que tant qu’on est valide, rappelle-t-il, on peut faire quelque chose pour soi ».

Kadiatou Mouyi Doumbia

Source: Mali Tribune