L’invité de cette semaine de votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, ‘’Ziré’’, est Mamadou Naman Keïta, l’ancien directeur national des Routes et parrain de la 24e Journée mondiale du bégaiement. Nous l’avons interrogé le 23 octobre 2021, en marge de la célébration de ladite Journée. Dans cet entretien, il nous parle de son vécu en tant qu’une personne bègue. Aussi, nous fait-il des propositions pour une meilleure prise en charge de ceux qui vivent avec ce handicap. Lisez plutôt l’entretien.
Mamadou Naman Keïta, une journée pour parler du bégaiement, qu’est-ce que cela vous dit ?
C’est une très bonne chose qu’il y ait une journée pour parler de cette situation. Parce que cela permet de rappeler régulièrement aux décideurs ce handicap. Mais, je crois qu’on doit aller au-delà. Pour moi, le bégaiement doit-être vu comme un problème de santé publique. Donc, l’Association Vaincre le Bégaiement au Mali (AVBM) doit tout faire pour que le bégaiement soit classé comme un problème de santé publique.
Ces journées dédiées au bégaiement sont importantes, puisque les personnes bègues se rencontrent et les témoignages qui sont faits, encouragent les uns et les autres. Aussi, nous autres qui avons réussi à franchir le cap, pouvons donc témoigner à travers ces journées et cela donne de plus en plus confiance à ceux qui n’ont pas encore eu cette opportunité. Cela leur permettra de ne pas baisser les bras.
Concrètement, quel est le message que vous avez voulu faire passer en vous rendant disponible pour ces jeunes ?
Je me suis rendu disponible de façon volontaire pour témoigner à l’assistance de mon expérience ; témoigner de ce que j’ai dû endurer et de ce que je suis aujourd’hui. Comme on le dit en Bambara ‘’kônô dimitô tè, yin dimi dô’’ (un malade du ventre, ne connaît pas les maux d’yeux). Auparavant, je pouvais diriger une salle sans pouvoir bien parler. Mais aujourd’hui, je m’exprime sans problème et je n’ai même pas envie de m’arrêter quand je prends la parole.
Justement, dites-nous ce que vous avez réellement traversé pendant votre enfance ?
Le bégaiement n’est pas une fatalité, mais une épreuve. C’est une épreuve pour les personnes qui vivent avec cette situation. Durant toute mon enfance, j’ai traversé des épreuves, notamment des épreuves de violence et surtout de violence physique où il y avait des frères qui me battaient, parce que j’avais ce trouble de langage qui est le bégaiement.
Ensuite à l’école, où il y avait des cas de moqueries quand bien même que j’étais plus brillant que la plus part parce que je n’avais jamais été en dehors des trois premiers de la classe. Donc, il faut avoir un cœur dur pour supporter certaines choses comme les moqueries. Et j’avoue que pendant tout mon cycle scolaire pour m’en sortir, je suis passé par des épreuves de violence peut-être pas physique, mais j’en arrivais à des injures de père et de mère contre ceux qui se moquaient de moi pour le bégaiement et parfois devant le maître. Mais, il a fallu quand même que je passe par là pour être là aujourd’hui et avoir cette oralité.
La manière dont je parle aujourd’hui étonne beaucoup de gens, en tout cas ceux qui ont vu et entendu ma façon de parler auparavant. Cette réalité est d’une autre époque et pour moi, les enfants d’aujourd’hui ne méritent pas cela. C’est pourquoi, j’insiste encore là-dessus, le bégaiement n’est pas une fatalité. Beaucoup de grandes personnalités du monde bégaient et c’est quelque chose qu’on peut surmonter avec de l’accompagnement. C’est très dommage de constater aujourd’hui que beaucoup d’enfants perdent leurs scolarités ou abandonnent l’école tout simplement parce qu’ils sont l’objet de moqueries. Voilà pourquoi, je voudrais dire qu’il faut que le bégaiement soit considéré comme un problème de santé publique.
Pour votre cas, au-delà du combat personnel, qu’avez-vous fait de plus, est-ce que vous avez fait des consultations ?
Effectivement, il a surtout fallu des personnes de bonne volonté que je salue de passage. Quand elles m’ont entendu parler sur les radios ou à la télévision nationale, elles ont vraiment fait le nécessaire. Voilà pourquoi, je crois toujours qu’il y a de bonnes personnes dans ce monde. Ces personnes ont banalement cherché mon contact et elles m’ont appelé pour me dire : « Monsieur pourtant le mal que vous avez, il y a des experts qui peuvent le traiter. » Je n’y avais pas cru dans un premier temps, mais je suis tombé sur un orthophoniste qui est extraordinaire et qui m’a effectivement aidé à surmonter cela. Donc, c’est pour dire que c’est surtout par des techniques que le bégaiement se soigne et non par des médicaments et il y a de très bons orthophonistes ici au Mali qui peuvent prendre en charge cet handicap qui est le bégaiement.
Cela dit, ça doit coûter cher !
Oui, ça coûte vraiment cher. C’est en cela que je pense que le problème mérite d’être une question de santé publique afin que le soin puisse être subventionné par l’État. Moi, je ne sais pas combien de potentiel d’enfants cadres super intelligents que le pays perd à cause de cet handicap. Pour éviter les moqueries liées à leurs façons de parler, ces enfants n’arrivent pas à poursuivre leurs cursus scolaires. C’est vraiment regrettable, mais il n’est pas trop tard pour y penser et cela passe par la prise en compte du problème de bégaiement comme un problème de santé publique. Cela est un cri de cœur que je lance aux autorités. Parce que ces enfants bègues sont extrêmement intelligents.
Entretien réalisé par Amadou Kodio
Source: Ziré