Décryptage : La crise sécuritaire : « qu’on en finisse ! »

Les Maliens souhaitent que la crise sécuritaire finisse. « Le banditisme, les conflits de pouvoir, les massacres, les meurtres, qu’on en finisse », comme l’exprime justement un collègue.Ala

La souffrance

Au Sahel, les Maliens souffrent de tout. Le malaise est profond. Les études nationales et internationales, publiées depuis 10 ans, concordent. A l’expérience de la crise sécuritaire, le Mali se montre le pays le plus malmené, le plus affaibli. Face au narcoterrorisme, des réflexes d’unité font place à la division. Partout, au sein de la classe dirigeante, des états-majors politiques, les calculs politiciens ou les luttes d’égo font place à l’antagonisme. La confusion règne. Pourtant, notre situation sécuritaire n’est pas pire que celle de nos voisins. Les choix des exécutifs Burkinabés ou Nigériens ne sont pas plus mauvais que les nôtres. Assimi Goïta et Choguel Kokalla Maïga trébuchent, expérimentent et corrigent le tir. Avant eux, d’autres d’exécutifs ont été pris au dépourvu. Le régime d’IBK a chuté faute d’avoir ramené la paix au Mali et de mieux gérer le pays. Celui de son prédécesseur, ATT, s’est effondré à défaut d’avoir combattu le narcoterrorisme.

Les intérêts géopolitiques

Sur un tout autre plan, loin du Mali, en Afghanistan, les Talibans reviennent au pouvoir vingt ans après l’intervention américaine pour éliminer le chef d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, cerveau des attentats du 11 septembre 2001. Le bilan humain de l’intervention américaine : près de 4 000 soldats américains et des forces spéciales, 70 000 membres de l’armée et de la police afghane, et 47 000 civils afghans tués. Abandonné par les Américains, le président Afghan, Ashraf Ghani, est chassé du pouvoir par les Talibans, nouveaux maîtres de Kaboul. Comprenons-nous, la situation afghane n’est pas comparable à celle du Mali pour des raisons géopolitiques. Des voisins afghans comme la Chine (Ouïghours), le Pakistan (l’épineuse question Pachtoune) ou l’Iran (protéger la communauté Chiite) pourraient négocier avec les Talibans pour préserver leurs intérêts. Quant aux Russes, leur rivalité historique avec les Afghans ne favorise pas une réelle implantation. Evidemment, les mêmes intérêts géopolitiques, à des niveaux différents, existent au Mali. Mais, le vrai lien entre les deux pays ; c’est l’intervention de la communauté internationale.

L’échec

Il y a vingt ans, la communauté internationale, et plus particulièrement les États-Unis d’Amérique, est intervenue en Afghanistan pour lutter contre le terrorisme. Au Mali, il y a dix ans, la communauté internationale, notamment la France (sur demande du pouvoir malien) est intervenue pour combattre le terrorisme. Résultats : le retrait des Américains de l’Afghanistan profite aux Talibans qui reprennent le pouvoir, dans une débâcle de l’armée afghane. C’est un échec de la communauté internationale. Quant au Mali, la France projette de réduire ses effectifs militaires presque de moitié, et de fermer certaines bases militaires (Tombouctou, Tessalit…) à partir de 2022. Désormais, le partenariat militaire avec le Mali sera porté par la Task Force Takuba. Le 16 août 2021, le président de la République française, Emmanuel Macron, à la suite de la prise de Kaboul par les Talibans, dit ceci : « En Afghanistan, notre combat était et c’est l’honneur de la France de s’y être engagé. La France n’y a jamais eu qu’un ennemi, le terrorisme. Nos interventions militaires n’ont pas vocation en effet à se substituer à la souveraineté des peuples, ni à imposer la démocratie de l’extérieur mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité. Partout, la mise en place de processus politiques crédibles est notre priorité. C’est ce principe fondamental de notre politique étrangère que nous avons appliqué en Afghanistan et que nous continuerons de mettre en œuvre ». Enfin, les exemples afghan-américain, et malien-français soulèvent la question de la nature des interventions, et celle de la responsabilité des Etats pour exister par eux-mêmes, c’est-à-dire être autonome.  C’est aussi le moment de traiter les questions suivantes :

Pourquoi intervenir ? Comment intervenir ? A l’avenir, comment en serait-il pour les exécutifs maliens devant des groupes terroristes ?

Trop de variations, trop de discours

En attendant de répondre à ces questions, Goïta et Maïga font face à une situation sécuritaire violente. Ils font de leur mieux grâce à l’engagement des Famas, à la solidité des renseignements (Barkhane, G5-Sahel). Reste qu’à propos de la sécurisation des populations, le combat contre les semeurs de la terreur et de la haine n’est pas gagné. Les rapports de force ne sont pas encore équilibrés. Le 08 août dernier, plus d’une cinquantaine de villageois ont été assassinés par l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) dans les localités de Daoutegeft, Dirgua, Karou et Ouatagouna. Par ailleurs, on retrouve au Burkina-Faso ou au Niger, les mêmes scènes de vendetta de l’EIGS contre les villageois qui renseignent les armées nationales sur leurs positions. Sans protection, les populations sont soumises à l’omerta, et s’installent dans la méfiance et le mutisme. Après l’assassinat des villageois, le soutien du gouvernement malien, notamment l’envoi d’une délégation pour réconforter les populations, n’est pas suffisant. Trop de variations, trop de discours. Cela vaut à propos du contreterrorisme, mais aussi à propos de l’article 39. Cependant, l’adoption du Plan d’action du gouvernement par le Conseil national de transition, début août, laisse entrevoir une lueur d’espoir pour mieux gérer le Mali : lutte contre la corruption, retour de la sécurité, sortie de la politique du ventre. Espérons ! Les différents déplacements du Premier ministre à Bougouni ou à Ségou pour soutenir les populations et les services publics devraient créditer l’exécutif. Mais, attention, ils ne peuvent constituer qu’un répit.

Le mal-être

Dans le malheur, il y a bien une particularité malienne, c’est le mal-être. Celui-ci prend souvent des formes contradictoires. Les recommandations des experts sécuritaires ont été tour à tour critiquées et rejetées. La priorité de la sécurité sur le développement a été revendiquée, et puis contestée. On s’emberlificotera. On confond tout : révolution et pouvoir du ventre, aspiration à la dignité et inconstance dans les idées, rectitude morale et bataille politicienne, quête de vérité et bouc émissaire. On se place du point de vue des autres selon nos intérêts personnels, rarement avec le filtre de l’intérêt général. C’est une des raisons de notre mal être, notre souffrance quotidienne. Hélas ! Un an après le putsch du Conseil national pour le salut du peuple, balayant le régime d’IBK, la transition doit satisfaire trois besoins. Prioritairement.

Agir pour l’intérêt supérieur du Mali et des Maliens

Objectivement, le premier besoin du Mali, c’est d’en finir avec l’insécurité, et permettre le retour pérenne de l’administration dans les zones reconquises. Le deuxième besoin du Mali, c’est l’organisation des élections générales à bonne date. Ce sera une façon d’honorer les engagements avec la Cedeao d’une part, et d’autre part de travailler dès à présent à la transmission du pouvoir à un président élu comme en 1992 entre ATT et Alpha Oumar Konaré, premier président du Mali démocratique. Le troisième besoin, c’est la modernisation du système administratif et politique pour réduire les situations de corruption. Certes, le narcoterrorisme a été un des éléments perturbateurs de la transition actuelle. Certes, le coup de force du 24 mai 2021 contre Bah N’Daw (ancien président de la transition) et Moctar Ouane (ancien Premier ministre), toujours en résidence surveillée, a aussi été un second élément perturbateur du bon déroulement de la transition. Certes, les frictions entre la France et le Mali à la suite de ce 2eme coup d’Etat ont laissé quelques cicatrices dans les rapports entre les deux Etats. Mais, il n’empêche que la satisfaction de ces trois besoins est primordiale. Elle s’organise autour de la capacité de l’exécutif actuel à agir sans faillir pour l’intérêt supérieur du Mali et des Maliens.

L’habitude du désespoir et du sentiment d’abandon doit faire place au retour de l’espoir.

Mohamed Amara, Sociologue

Source : Mali Tribune

 

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