Mali: Amadou Toumani Touré, «le soldat de la démocratie»

Officiers de l’armée, officiels, citoyens lambda, de véritables grappes humaines affluaient ce mardi au domicile privé de l’ancien président malien Amadou Toumani Touré, décédé dans la nuit en Turquie. Pure produit de l’armée malienne, homme d’État affable, ATT a dirigé à deux reprises le Mali. La première fois avec un costume de putschiste. La seconde, avec celui d’un démocrate élu. Portrait. 

Deuxième quinzaine du mois d’octobre. Mabo, la fille d’Amadou Toumani Touré, a pris fermement la décision. Son père, qui ne se sent pas bien, sera hospitalisé au centre hospitalier mère-enfant – le Luxembourg de Bamako. L’ancien président du Mali (1991-1992) et (2002-2012) accepte. On prend moult précautions pour le transporter. Il y a de quoi. Le médecin soupçonne un pépin au cœur.

« ATT », comme le surnomment ses compatriotes, arrive de nuit au centre de cathétérisme cardiaque de ce centre hospitalier moderne, qu’il a fait bâtir avec l’aide de son épouse Lobo, connue pour sa gentillesse. La décision est rapidement prise : une intervention est obligatoire, car l’une des artères de son cœur est bouchée. L’ancien président malien a seulement environ six heures de vie si rien n’est fait, évalue une source médicale qui s’est confiée à RFI. L’opération va durer environ deux heures. Tout se passe bien. Amadou Toumani Touré quittera la nuit même l’hôpital, en marchant pour rentrer lui-même dans son véhicule.

Le 4 novembre, il fête discrètement son 72e anniversaire avec ses proches. La décision est prise : il doit, dans trois jours, faire un contrôle à l’étranger. Paris ? La pandémie de Covid-19 ne l’incite pas à prendre cette destination, les hôpitaux français sont débordés. Alors ce sera Istanbul, en Turquie. Les autorités maliennes sont prévenues. L’avion présidentiel était-il ou non disponible ? En tout cas, c’est par un vol régulier de Turkish Airlines qu’il voyage. Dans la nuit de lundi à mardi, il rend l’âme.

Un « produit » de l’armée malienne

Amadou Toumani Touré est d’abord un « produit » de l’armée malienne. Parachutiste, béret rouge vissé sur la tête, il prend le pouvoir en mars 1991 pour parachever un soulèvement populaire qui a balayé le régime de l’ancien président Moussa Traoré. Après une transition un peu cahoteuse, un peu comme une « patate chaude », il rend le pouvoir au civil un an après. Le président démocratiquement élu, Alpha Oumar Konaré, sera réélu et restera au total pendant dix ans au pouvoir. Pendant cette période, Amadou Toumani Touré opine, tout en se faisant oublier. Il étoffe son carnet d’adresses en travaillant pour l’ONU dans des missions de paix. En 2002, il est candidat à la présidentielle. Il coiffe tous les autres candidats au poteau. Mais, il faut reconnaître que le président sortant lui fait plutôt une passe millimétrée. Pour la première fois au Mali, un président démocratiquement élu succède à un autre démocratiquement élu.

Gros travailleur, il ouvre de nombreux chantiers : construction de logements sociaux qui porteront ses initiales, « les logements ATT », construction de ponts d’ouvrages à travers le pays… Politiquement, il propose et réussit à mettre quasiment toute la classe politique locale autour de son projet politique, « le consensus à la malienne ». Avec une ruse de Sioux, il évitera plusieurs crises politiques et sociales. L’imam Mahmoud Dicko, grande figure du mouvement de contestation qui a contribué à la chute de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, a récemment qualifié ATT de « grand homme ». Il raconte qu’à l’époque où Amadou Toumani Touré était au pouvoir, il est rentré dans son bureau en colère pour lui parler plutôt méchamment, mais que le président de l’époque a gardé son sang-froid, détendant même l’atmosphère.

Homme accessible, ayant le tutoiement facile, il connaissait de manière intime la classe politique locale. À l’étranger, il était très apprécié. L’ancien président français Jacques Chirac, décédé le 26 septembre 2019, l’affectionnait particulièrement. Dans un communiqué, l’ambassade de France à Bamako, qui a présenté ses condoléances, a rappelé d’ailleurs ses liens « d’amitié avec l’ancien président français Jacques Chirac, pour lequel il avait organisé les funérailles dogons en février dernier ».

ATT avait cependant un côté « tueur », « cynique » allié à l’humour. Il ne disait jamais non, mais manœuvrait dans l’ombre. Un jour, alors qu’il était au pouvoir, un homme très connu à Bamako, avec un œil au beurre noir, croise ATT.

« Président ATT, c’est un militaire qui m’accuse d’avoir des relations particulières avec sa femme qui m’a blessé à l’œil. »« Donne-moi son nom, je le radie de l’armée », lance le président de l’époque. Dès qu’il fait dos à son interlocuteur, il murmure devant un témoin : « Le militaire aurait dû lui mettre également un beurre noir au second œil ». On appelait aussi ATT « l’ami des enfants », tellement il défendait leur cause.

Dégradation sécuritaire

Cependant, il a commis des erreurs. En 2003, un an après son retour au pouvoir, il a accepté, un peu à la demande de pays occidentaux, que le nord du Mali devienne, en quelque sorte, un « entrepôt d’otages européens ». « Il est clair que cela a fragilisé le nord du Mali. Les pays européens comme la France, l’Espagne et l’Allemagne ont demandé à Amadou Toumani Touré de ne pas faire la guerre aux preneurs d’otages qui venaient généralement d’ailleurs avec des otages, mais de négocier avec les ravisseurs pour obtenir leur libération, souvent contre paiement de rançons. Il a accepté et cela a amené les ravisseurs à s’installer dans le nord du Mali avec les otages, mais ils en ont aussi profité pour installer des bases jihadistes sur le territoire malien », analyse l’un de ses conseillers spéciaux de l’époque, qui ne souhaite pas être nommément cité.

D’autres sources ajoutent que le Mali avait signé un accord non écrit avec les jihadistes qui se résume ainsi : « Vous restez sur le territoire malien, mais vous n’opérez ni rapt ni crime sur notre territoire. » Donc, les jihadistes ont, jusqu’à une époque, enlevé des otages dans les pays voisins et même lointains, avant de les transférer au Mali.

Sous le règne d’Amadou Toumani Touré, entre 2002 et 2012, la situation sécuritaire s’est dégradée dans le septentrion. Pour se justifier, il martelait que son pays seul ne pouvait pas lutter contre les jihadistes, le terrorisme, mais qu’il fallait l’union sacrée entre les pays du Sahel. Sur ce point, l’histoire lui a un peu donné raison. Après son renversement en 2012 par un coup d’État militaire, les chefs d’État de la sous-région ont lancé les bases de la création du G5 Sahel.

La gestion d’ATT du retour des Touaregs maliens incorporés au sein de l’armée de Kadhafi a été aussi critiquée.

C’est aussi la situation dans le nord du pays, marquée par une coalition de rebelles indépendantistes et de jihadistes contre l’armée malienne, qui a causé sa perte. Fin mars 2012, alors qu’il était à quelques semaines de la fin de son second et dernier mandat, Amadou Toumani Touré est renversé par un coup d’État militaire. Les auteurs du putsch, pour justifier leur acte, ont fait référence à la situation de l’armée dans le nord.

Contraint à l’exil, il séjournera sept ans au Sénégal, avant de revenir plus populaire que jamais. C’est vrai qu’à son retour, les jihadistes entre-temps avaient gagné du terrain, en prenant le contrôle d’une partie du centre du pays, et avaient commis des attentats dans la capitale malienne. En visite en 2019 à Mopti, à l’occasion du centenaire de cette ville, capitale du centre et surtout sa région natale, il a prononcé devant une foule nombreuse ces mots : « Je suis avant tout un soldat. Je m’investirai, je ferai tout ce qui est possible en me basant sur l’expérience que j’ai acquise. Pour la paix, la sécurité, la cohésion sociale et le vivre-ensemble, je ferai tout pour Mopti… » « Belle revanche », ont murmuré ses partisans.

Source: RFI

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