Les sanctions de la Cedeao font planer le risque de pénurie de certaines marchandises importées. Mais la direction nationale en charge du commerce et de la consommation rassure sur le niveau de nos réserves
Un mois après la démission du président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, suite à l’intervention de l’Armée, le Mali reste sous embargo de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). La tenue, les 10, 11 et 12 septembre, de la concertation nationale sur la transition n’a pas suffit pour faire fléchir les chefs d’état de l’organisation ouest-africaine. Ces assises ont même étalé au grand jour les divergences de vue entre le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) et une partie du M5-RFP qui a rejeté la Charte de la transition pourtant adoptée et saluée par les participants dans leur écrasante majorité. Ces désaccords assumés semblent être mis à profit par certains pour tenter de créer la panique au sein de la population, prédisant ainsi une rupture très prochaine des stocks en denrées de tout genre.
Les Maliens doivent-ils craindre ce scénario professé par les individus aux intentions inavouées ? La disponibilité en denrées peut-elle couvrir les besoins essentiels avant la levée des sanctions ? Existe-t-il des alternatives crédibles d’approvisionnement en cas de prorogation ou d’alourdissement du blocus ?
En effet, cet embargo arrive au mauvais moment pour notre pays. Très vaste pays sans débouché sur la mer, le Mali vit depuis 2012 une crise sécuritaire, sociale et politique qui affecte année après année ses efforts de développement. La croissance de son Produit intérieur brut (PIB) est passée régressivement de plus de 6% à un peu moins de 5% (2019) sur la même période. Ce taux est, selon le dernier rapport des services du Fonds monétaire international (FMI), estimé à 0,9% cette année, contre une projection initiale de 5%. Cette chute drastique est consécutive aux effets de la crise sanitaire. S’il faudrait y ajouter les effets néfastes de l’embargo, l’économie malienne tomberait en récession. Comme ce fut le cas après le coup d’état de 2012.
Cette régression économique est à nouveau envisageable eu égard au volume des échanges entre le Mali et les autres pays membres de l’organisation sous régionale. Ceux-ci comptent pour environ 17% de nos recettes d’exportation dont 6.1% sur le Burkina Faso, 4,9% vers la Côte d’Ivoire, 4,7% en direction du Sénégal et 0,91% vers la Guinée. En direction de ces pays, le Mali exporte principalement le bétail, les noix de karité, les denrées agricoles (pomme de terre, mangue, etc.).
En revanche, notre pays dépend en grande partie d’eux en matière d’importations. Le Sénégal vient en tête avec 21% du volume des produits importés dans la zone. Il est suivi par la Côte d’Ivoire avec 9.7%. Nos achats de biens dans les pays membres de la Cedeao envoisinent 40% du total de nos importations. à titre illustratif, le Mali a, en 2018, importé pour 472 milliards de Fcfa auprès du Sénégal et 377 milliards de Fcfa auprès de la Côté d’Ivoire. La moyenne quotidienne est de 2,3 milliards de Fcfa de produits importés auprès de ces deux pays : 1,3 milliard de Fcfa en faveur du Sénégal et un milliard de Fcfa pour la Côte d’Ivoire.
SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE- Les hydrocarbures constituent l’essentiel de nos produits d’importation (24%), suivis des machines (8,4%), des véhicules (6.9%), des équipements électroniques (6.6%), précise l’analyste Abdoul Karim Coulibaly. Pour qui ces produits transitent ou sont revendus pour la plupart par ces pays.
«C’est par exemple, ajoute le spécialiste, le cas des hydrocarbures dont le Mali s’approvisionne à travers le Sénégal. Bien que n’étant pas producteur de pétrole, le Sénégal arrive à exporter le pétrole en direction du Mali, bénéficiant ainsi dans les termes de l’échange». Il ajoute que d’autres produits tels que le poisson, la banane plantain, le ciment, le bois, sont directement produits par nos voisins de la Cedeao.
Une restriction sur les échanges n’est pas alors sans conséquence pour l’économie et sur la population maliennes. «Un embargo sera très ressenti par la population malienne, car il nous priverait de 40% de nos produits d’importation», analyse l’expert Abdoul Karim Coulibaly. Pour l’analyste, ce ressenti se manifestera par un accroissement du prix des denrées et des produits manufacturés à cause de leur rareté sur le marché et une baisse des recettes de nos opérateurs économiques. Ces derniers verront leurs biens stockés au niveau des différents ports. Cela peut avoir des contraintes de coûts de stockage, et même affecter certaines denrées périssables, déplore-t-il.
Ces chiffres illustrent à suffisance que le Mali est loin de pouvoir se passer de ses voisins de la Cedeao. L’économiste Étienne Fakaba Sissoko, lui, rappelle à juste titre notre dépendance économique. «Savez-vous aujourd’hui que l’ensemble du patrimoine (argent, liquidité) du Mali est dans un compte unique à la BCEAO ? Avec l’embargo de la Cedeao, on n’y a plus accès. Donc aujourd’hui, nous fonctionnons sans caisse régulièrement alimentée donc, exclusivement avec les nouvelles entrées de recettes et la liquidité existante au trésor», interpellait-il dans un récent post.
Toutefois, le directeur général du commerce, de la consommation et de la concurrence, intervenant sur une radio, invite les consommateurs à la sérénité. Car, dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, le ministère en charge du Commerce, à travers la DGCC, avait pris des mesures pour faciliter l’importation des denrées de première nécessité, rappelle Boukadary Doumbia. «Toutes les provisions n’ont pas été utilisés.
À ce jour, les stocks que nous avons dans les magasins peuvent couvrir plusieurs mois. Et il n’y a pas de raison d’augmenter les prix, comme le font certains commerçants en cas de crise», rassure le DGCCC. Menaçant de sanction les contrevenants, il précise que son service a décidé de ne plus donner d’autorisations pour l’exportation des produits de base maliens dans les pays de la Cedeao. Cela jusqu’à la levée de l’embargo. Rappelons aussi que les produits alimentaires, pharmaceutiques, les hydrocarbures, sont exclus des sanctions imposées par la Cedeao.
ALTERNATIVES- Afin de renforcer notre capacité de résilience, Boukadary Doumbia propose de tout mettre en œuvre pour trouver une autre porte d’entrée pour nos produits, à partir par exemple du Maroc, de l’Algérie, de la Tunisie et de la Mauritanie. Le directeur général du commerce, de la consommation, de la concurrence invite également le ministère de l’économie et des Finances à échanger avec les banques afin qu’elles assurent les transactions des commerçants destinées à l’achat des produits de première nécessité.
Comme autres solutions à envisager, Abdoul Karim Coulibaly propose d’accroitre la production locale des denrées importées dont dépendent les populations maliennes. Surtout les produits agricoles en encourageant et en supportant une production locale dans différents domaines. Pour ce faire, le pays pourrait recourir à la solidarité des Maliens de l’extérieur. Qui, selon les statistiques de la Banque mondiale, envoie un peu plus d’un milliard de dollars par an (environ 550 milliards de Fcfa). Ces fonds pourraient par exemple être utilisés pour compenser les pertes des recettes d’exportation et soutenir les producteurs locaux, les entrepreneurs et la mise en place d’unités de production et de transformation, argumente l’analyste.
Aussi, le Mali devrait-il trouver d’autres destinations à son bétail et envisager l’exportation de la viande plutôt que du bétail sur pied. à cet effet, propose Abdoul Karim Coulibaly, notre pays pourrait songer à marchander la viande vers les pays de l’Afrique centrale. S’offrant ainsi une vraie opportunité de maximiser les revenus dans ce secteur, estime-t-il. De même, insiste l’analyste économique, le Mali pourrait plaider auprès du Sénégal pour une levée de l’embargo. Le pays du président Macky Sall qui ne cesse de plaider pour un allègement de ces sanctions, sera très affecté par cet isolement avec le risque de perdre 24% de ses recettes d’exportation. En témoigne la revue encore à la baisse, la semaine dernière, de ses prévisions de croissance qui sont désormais estimées à mois de 1%.
En attendant, l’analyste Abdoul Karim Coulibaly demande de se rabattre sur le port de Nouakchott «pour nous approvisionner en produits pour lesquelles nous n’avons pas encore la capacité de production locale (avec une vision future de les produire)». La solution pourrait, selon lui, passer également par la réduction de nos importations au strict nécessaire et du train de vie de la nation toute entière.
à ce propos, le banquier malien, Cheickna Bounajim Cissé, estime que le port de Nouadhibou (NDLR, situé à 470 km de Nouakchott à la frontière avec le Maroc sur l’Océan Atlantique) n’est pas en mesure de constituer une alternative crédible pour le Mali. Pour la raison simple qu’il n’est pas en eau profonde, donc incapable d’accueillir les navires de gros tonnage. L’actuel port est dominé à 80% d’opérations de pêche et 20% d’activités commerciales, conclut l’économiste.
Cheick M. TRAORÉ
Source: L’Essor
Last Updated on 17/09/2020 by Ousmane BALLO