La rubrique ‘’L’invité de la semaine’’ de Ziré, votre hebdomadaire préféré d’analyses, d’enquêtes et d’informations générales, reçoit cette semaine M. Mathias C. Hounkpé, directeur pays de la Fondation Internationale pour les Systèmes Électoraux (IFES-MALI). Avec lui, nous avons échangé sur les mécanismes de participation des personnes déplacées internes aux processus électoraux pour les futures échéances. C’est un entretien réalisé le 9 novembre 2022, en partenariat avec le site d’informations générales, ‘’www.afrikinfos-mali.com’’.
Ziré : M. le directeur, présentez-vous à nos chers lecteurs !
Mathias C. Hounkpe : Je m’appelle Mathias Hounkpé, je suis le directeur Pays de IFES-MALI, Fondation internationale pour le système électoral.
Directeur, selon vous, en quoi est-il vraiment fondamental d’impliquer les personnes déplacées dans les votes ?
Disons que la raison la plus importante est que les déplacées internes sont des citoyens comme les autres Maliens. En tant que citoyens vivant dans une démocratie, ces personnes doivent jouir au même titre que les autres citoyens de leurs droits à participer aux décisions de leur pays. Ils ont droit à y participer en tant qu’électeurs et en tant qu’éligibles.
Leur non-prise en charge est-elle due à un manque de document législatif ou un manque de volonté politique de l’État ?
Jusque-là à mon humble avis, la question n’a jamais été sérieusement mise sur la table surtout depuis 2013 que la situation que traverse le pays a entraîné des déplacés en nombre relativement élevé. Donc, je pense qu’on observe aujourd’hui, à la différence du passé, que la question est vraiment traitée par le ministère chargé de l’Administration territoire de la décentralisation de façon inclusive.
En effet, le ministère a associé les partis politique et les organisations de la société civile à la recherche de solutions aux défis que pose l’inclusion des déplacés internes dans le vote. Parce que leur inclusion pose beaucoup de défis, mais ces défis, comme les exemples d’autres pays le montrent, on peut y trouver des solutions. Mais pour ça, il faut s’assoir dans un cadre qui rassemble toutes les parties prenantes qui discutent et ensemble voir de quelle manière on peut aborder les problèmes que pose généralement l’inclusion des personnes déplacées dans le processus électoral.
Quel est le cadre juridique de l’inclusion des personnes déplacées internes dans le processus électoral ?
Sur le plan international, le droit à la participation politique est garanti par le droit international des Droits de l’Homme et les personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays ont le droit d’en participer aux affaires gouvernementales et publiques, y compris le droit de voter et de se présenter à des élections à des fonctions publiques. Il est important de s’assurer qu’un cadre légal existe non pas seulement au plan international, mais encore au plan local, autrement dit que des textes légaux, qui précisent les procédures à suivre par les différentes parties prenantes concernées pour assurer l’inclusion des personnes déplacées internes dans les processus électoraux, sont disponibles. Ces dispositions peuvent figurer dans la loi électorale, où l’organe de gestion des élections (OGE) peut se voir confier la responsabilité de les élaborer et de veiller à leur mise en œuvre.
Quelles sont les questions politiques auxquelles il faut penser lorsqu’on envisage la participation des personnes déplacées internes au processus électoral ?
Naturellement, du fait de la nature même des élections, la participation des personnes déplacées internes aux élections n’est pas exempte de questions politiques. L’IFES, à travers les programmes qu’elle développe ailleurs, a observé les questions politiques sensibles suivantes : le changement de lieu de vote peut être perçu par des personnes déplacées internes comme une acceptation du déplacement et de la perte d’un territoire ; le changement de circonscriptions électorales pour les personnes déplacées internes (PDI) peut modifier les électorats et le rapport des forces qui en découle, ce qui a pour conséquence d’affecter logiquement les résultats des élections ; dans la même logique, les PDI peuvent être perçues comme majoritairement supporters ou sympathisants d’un parti, ce qui entraîne la réticence aux niveaux des autres partis en ce qui concerne leur inclusion. Aussi, vu l’incertitude autour du moment où les PDI pourraient ou non retourner dans leur circonscription électorale d’origine, leur inclusion peut déclencher la violence si elle n’est pas traitée de manière inclusive et réfléchie.
Qui doit participer au processus de décision concernant le vote des PDI ?
Compte tenu des enjeux et de la délicatesse du sujet, il est important d’identifier les catégories d’acteurs qui doivent être impliquées dans le processus de prise de décision concernant l’inclusion des PDI. Tous les acteurs chargés de gérer les processus électoraux, ainsi que ceux qui connaissent le mieux les aspects pertinents de la vie des PDI, à commencer par eux-mêmes, devraient être membres du cadre de décision.
Comment identifier et inclure les PDI dans la liste électorale ?
Je pense que pour identifier et inclure les PDI dans la liste électorale, il convient de définir qui peut être considéré comme PDI, de collecter les données sur les personnes considérées comme PDI, de décider s’il est pertinent de les classer en fonction de leur localisation géographique. Par exemple, dans le cas du Mali, les régions, les cercles et les communes, etc. Il s’agit de décider de la liste sur laquelle elles seront inscrites en fonction de leurs localisations géographiques; de décider de la manière de résoudre les difficultés liées à leur identification, notamment avec l’absence de cartes d’électeurs et de preuve d’éligibilité; et enfin de décider de la manière d’opérationnaliser l’inscription des PDI sur les listes électorales.
Comment assurer l’éducation électorale pour les PDI ?
Il peut être important de déterminer à l’avance les critères de sélection des personnes ou des groupes qui peuvent mener des activités d’éducation électorale à l’endroit des PDI. Ces critères peuvent être déterminés par OGE chargé de l’éducation électorale en partenariat avec des groupes généralement impliqués dans l’éducation des électeurs dans le pays.
Comment garantir le vote et le décompte des voix des PDI inscrites sur la liste électorale ?
En général, pour garantir le vote des PDI et le décompte de leurs voix, il faudrait déterminer : comment mettre en œuvre une bonne stratégie pour la distribution des cartes d’électeurs. Si elles peuvent voter à toutes les élections ou seulement à certaines, si des formulaires spécifiques sont nécessaires pour leurs votes, l’emplacement des centres de vote et des bureaux de vote pour les PDI, les modalités de centralisation des votes des PDI…
Comment leur sécurité peut-elle être garantie tout au long du processus électoral ?
Compte tenu du contexte spécifique des PDI, il est important de procéder à une évaluation des risques et des menaces associés à leur vote. Il est aussi important de déterminer si des mesures dans les centres spécifiques sont nécessaires pour la sécurité des PDI, de déterminer les ressources disponibles pour garantir la planification de la sécurité des PDI, de déterminer les problèmes de sécurité qui pourraient être liés à la collecte des documents nécessaires pour permettre le vote.
Comment prendre en compte les groupes marginalisés au sein des PDI ?
Dans la mesure du possible, d’autres groupes marginalisés, par exemple, les femmes déplacées ou les personnes déplacées vivant avec un handicap doivent également être pris en compte tout au long du processus électoral. Ceci est particulièrement important pendant la sélection des centres et bureaux d’enregistrement et de vote et lors de la prise des mesures pour garantir que ces populations reçoivent l’assistance nécessaire.
Entretien réalisé par Amadou Kodio
Source : Ziré